jeudi, mai 25, 2006

Guillaume Apollinaire -Vendemiaire-

Vendemiaire
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l'époque où finissaient les rois
Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismégistes

Que Paris était beau à la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne où les pampres
Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut
Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l'aube

Un soir passant le long des quais déserts et sombres
En rentrant à Auteuil j'entendis une voix
Qui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine
La plainte d'autres voix limpides et lointaines

Et j'écoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu'éveillait dans la nuit la chanson de Paris

J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne
Paris Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent

Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille
Nous t'apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n'entendras pas
Et d'amont en aval nos pensées ô rivières
Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t'apportons aussi cette souple raison
Que le mystère clôt comme une porte la maison
Ce mystère courtois de la galanterie
Ce mystère fatal fatal d'une autre vie
Double raison qui est au-delà de la beauté
Et que la Grèce n'a pas connue ni l'Orient
Double raison de la Bretagne où lame à lame
L'océan châtre peu à peu l'ancien continent

Et les villes du Nord répondirent gaiement

Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l'Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Où les ouvriers nus semblables à nos doigts
Fabriquent du réel à tant par heure
Nous te donnons tout cela

Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières

Désaltère-toi Paris avec les divines paroles
Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent
Toujours le même culte de sa mort renaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang
Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur
Un enfant regarde les fenêtres s'ouvrir
Et des grappes de têtes à d'ivres oiseaux s'offrir

Les villes du Midi répondirent alors

Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinée
Et toi qui te retires Méditerranée
Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties
Ces très hautes amours et leur danse orpheline
Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes

Et un râle infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d'ailes ces paroles

Les raisins de nos vignes on les a vendangés
Et ces grappes de morts dont les grains allongés
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel
Obscurci de nuées faméliques
Que caresse Ixion le créateur oblique
Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d'Afrique
Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille
L'avenir et la vie dans ces treilles s'ennuyent

Mais où est le regard lumineux des sirènes
Il trompa les marins qu'aimaient ces oiseaux-là
Il ne tournera plus sur l'écueil de Scylla
Où chantaient les trois voix suaves et sereines

Le détroit tout à coup avait changé de face
Visages de la chair de l'onde de tout
Ce que l'on peut imaginer
Vous n'êtes que des masques sur des faces masquées

Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyés flottant sur son onde nouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives
Elles dirent adieu au gouffre et à l'écueil
À leurs pâles époux couchés sur les terrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil
Les suivirent dans l'onde où s'enfoncent les astres

Lorsque la nuit revint couverte d'yeux ouverts
Errer au site où l'hydre a sifflé cet hiver
Et j'entendis soudain ta voix impérieuse
Ô Rome
Maudire d'un seul coup mes anciennes pensées
Et le ciel où l'amour guide les destinées

Les feuillards repoussés sur l'arbre de la croix
Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican
Macèrent dans le vin que je t'offre et qui a
La saveur du sang pur de celui qui connaît
Une autre liberté végétale dont tu
Ne sais pas que c'est elle la suprême vertu

Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles
Les hiérarques la foulent sous leurs sandales
Ô splendeur démocratique qui pâlit
Vienne la nuit royale où l'on tuera les bêtes
La louve avec l'agneau l'aigle avec la colombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle
Sortiront de la terre et viendront dans les airs
Pour boire de mon vin par deux fois millénaire

La Moselle et le Rhin se joignent en silence
C'est l'Europe qui prie nuit et jour à Coblence
Et moi qui m'attardais sur le quai à Auteuil
Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles
Du cep lorsqu'il est temps j'entendis la prière
Qui joignait la limpidité de ces rivières

Ô Paris le vin de ton pays est meilleur que celui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord
Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible
Mes grappes d'hommes forts saignent dans le pressoir
Tu boiras à longs traits tout le sang de l'Europe
Parce que ru es beau et que seul tu es noble
Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir
Et tous mes vignerons dans ces belles maisons
Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux
Dans ces belles maisons nettement blanches et noires
Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire
Mais nous liquides mains jointes pour la prière
Nous menons vers le sel les eaux aventurières
Et la ville entre nous comme entre des ciseaux
Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux
Dont quelque sifflement lointain parfois s'élance
Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence

Les villes répondaient maintenant par centaines
Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines
Et Trèves la ville ancienne
À leur voix mêlait la sienne
L'univers tout entier concentré dans ce vin
Qui contenait les mers les animaux les plantes
Les cités les destins et les astres qui chantent
Les hommes à genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-même
Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front
L'éclair qui luit ainsi qu'une pensée naissante
Tous les noms six par six les nombres un à un
Des kilos de papier tordus comme des flammés
Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements
Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment
Des armées rangées en bataille
Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres
Au bord des yeux de celle que j'aime tant
Les fleurs qui s'écrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaîtrai jamais
Tout cela tout cela changé en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors présenté

Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez
Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré

Mais je connus dès lors quelle saveur a l'univers

Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers
Sur le quai d'où je voyais l'onde couler et dormir les bélandres

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s'il me plaît l'univers

Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s'achevait lentement
Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine


Vendimiador

Hombres del porvenir acordaos de mí
Yo viví la época del fin de los reyes
Uno tras otro morían silenciosos y tristes
Y triplicado su coraje convertíanse en trimegistos

Qué bella París a finales de septiembre
Cada noche era una viña donde los pámpanos
Derramaban su transparencia sobre la ciudad y en lo alto
Astros maduros picoteados por los pájaros ebrios
De mi gloria esperaban la vendimia del alba

Una tarde al pasar a lo largo de los muelles desiertos y sombríos
De regreso a Autevil escuché una voz
Que cantaba gravemente acallándose a veces
Para que se elevase también sobre las orillas del Sena
El lamento de otras voces nítidas y lejanas

Y escuché largamente todos esos cantos y clamores
Que despertaban en la noche la canción de París

Tengo sed ciudades de Francia y de Europa y del Mundo
Venid todas a verter en mi garganta profunda
Vivo cuando ya ebria en la viña París
Vendimiaba la uva más dulce de la tierra
Esos granos milagrosos que cantan en las parras

Y Rennes respondió con Quimper y Vannes
Henos aquí oh París Nuestras casas nuestros habitantes
Estos racimos de nuestros sentidos que da a luz el sol
Se sacrifican para saciarte ávida maravilla
Te ofrendamos todos los cerebros los cementerios las murallas
Esas cunas colmadas de gritos que no escucharás
Y de la fuente al estuario nuestros pensamientos oh ríos
Los oídos de las escuelas y nuestras manos reconciliadas
De dedos alargados nuestras manos los campanarios
Y te ofrendamos además esta dócil razón
Que el misterio clausura como una puerta la casa
Ese misterio cortés de la galantería
Ese misterio fatal fatal de otra vida
Doble razón más allá de la belleza
Que no conocieron ni el Oriente ni Grecia
Doble razón de la Bretaña donde ola tras ola
El océano va a pocos castrando el viejo continente

Y las ciudades del norte respondieron jubilosas

Oh París henos aquí vivos licores
Ciudades viriles donde parlotean y cantan
Los santos metálicos de nuestras santas fábricas
Nuestras chimeneas al cielo abierto engrasan los nubarrones
Como una vez el Ixion mecánico
Y nuestras manos incontables
Factorías manufacturas fábricas manos
Donde los obreros desnudos semejantes a nuestros dedos
Fabrican en efectivo a tanto la hora
Todo eso te damos

Y Lyon respondió mientras los ángeles de Fourvières
Tejían un cielo nuevo con la seda de las plegarias

Sacíate París con las divinas palabras
Que mis labios el Ródano y Saoma murmuran
Siempre el mismo culto de su muerte renaciente
Aquí divide a los santos y hace llover la sangre
Afortunada lluvia oh gotas tibias oh dolor
Un niño ve abrirse las ventanas
Y ofrecerse racimos de cabezas de pájaros ebrios

Las ciudades del Mediodía entonces respondieron

Noble París única razón que aún vives
Que fijas nuestro carácter a tu destino
Y tú replegándote Mediterráneo
Partid nuestros cuerpos como se quiebran las hostias
Esos sublimes amores y su danza huérfana
Se convertirán oh París en el vino puro que amas

Y un estertor infinito que venía de Sicilia
Daba en un batir de alas significado a estas palabras

Las uvas de nuestras viñas fueron cosechadas
Y esos racimos de muertos cuyas semillas alargadas
Llevan el sabor de la sangre de la tierra y de la sal
Aquí están para tu sed oh París bajo el cielo
Obscurecida de nubarrones famélicos
Que acaricia Ixion el creador oblicuo
Y donde nacen sobre el mar todos los cuervos de África
Oh uvas y estos ojos apagados y familiares
El porvenir y la vida se aburren en esas parras

Pero dónde está la mirada luminosa de las sirenas
Engañó a los marinos que amaban a esos pájaros
Ya no revoloteará en el escollo de Escila
Donde cantan las tres voces suaves y serenas

El estrecho de pronto había cambiado el semblante
Rostros de carne de honda de todo
Lo imaginable
No sois sino máscaras sobre rostros maquillados

Él sonrió joven nadador entre las orillas
Y los ahogados flotando sobre su nueva ola
Huían perseguidos por las cantoras quejumbrosas
Dijéronle adiós al remolino y los arrecifes
A sus pálidas esposas inclinadas en las terrazas
Luego de haber emprendido el vuelo hacia el sol ardiente
Siguiéronles en la onda donde se sumergen los astros

Cuando regresó la noche nublada de ojos abiertos
Vagar hasta el paraje donde silbó la hidra este invierno
Y escuché de repente tu voz imperiosa
Oh Roma
Maldecir de un golpe mis viejos pensamientos
Y el cielo donde el amor guía los destinos

Los retoños de varas sobre el árbol de la cruz
Y hasta la flor de lis que muere en el Vaticano
Fermentan en el vino que te ofrezco y que tiene
El sabor de la sangre pura de aquel que conoce
Otra libertad vegetal de la cuál
No sabes que es esta su suprema virtud

Una corona de la tiara cayó sobre las losas
Los jerarcas la aplastan bajo sus sandalias
Oh esplendor democrático que palidece
Viene la noche real donde se sacrificarán las bestias
La loba con el cordero el águila con la paloma
Una turba de reyes enemigos y crueles
Sedientos como tú en la viña eterna
Se desprenderán de la tierra y vendrán por los aires
A beber de mi vino dos veces milenario

El Mosela y el Rhin se unen en silencio
Es Europa que reza noche y día en Coblenza
Y yo que me demoraba en el muelle de Autevil
Cuando a veces caían las horas como las flores
De la cepa a su tiempo escuché la plegaria
Que se unía a la claridad de estos ríos

Oh París el vino de tu país es mejor que aquél
Que se abre camino en nuestros bordes pero en los pámpanos del Norte
Todos los granos murieron de esta sed terrible
Mis racimos de hombres fuertes sangran en el lagar
Beberás en largos sorbos toda la sangre de Europa
Porque sólo tú eres noble y bella
Porque es en ti que puede Dios manifestarse
Y todos mis viñadores en esas bellas casas
Que a la tarde reflejan sus fuegos en nuestras dos aguas
En esas bellas casas nítidamente blancas y negras
Cantan tu gloria sin saber que tú eres la realidad
Pero nosotros líquidas manos que se unen para la plegaria
Nosotros guiamos hacia la sal las aguas aventureras
Y la ciudad entre nosotros como entre tijeras
No refleja durmiendo ningún fuego en sus dos aguas
De las cuáles algún lejano silbido a veces se eleva
Trastornando en su sueño a las muchachas de Coblenza

Las ciudades respondían ahora por centenas
Ya no distinguía sus palabras lejanas
Y Treves la ciudad anciana
Mezclaba a estas otras su voz
Concentrado en este vino el Universo entero
Que contenía los mares los animales las plantas
Las ciudades los destinos y los astros que cantan
Los hombres arrodillados en la orilla del cielo
Y el dócil hierro nuestro fiel compañero
El fuego que hay que amar como se ama a sí mismo
Todos los altivos difuntos que bajo mi frente son uno
El relámpago que brilla como un pensamiento que nace
Todos los nombres seis por seis los números uno a uno
Kilos de papel torcido como llamas
Y aquellos que sabrán blanquear nuestra osamenta
Los buenos versos inmortales que se aburren de paciencia
Ejércitos dispuestos para la batalla
Bosques de crucifijos y mis lacustres moradas
Al borde de los ojos de aquella que amo tanto
Las flores que de las bocas salen gritando
Y todo eso que no sé decir
Todo eso que jamás conoceré
Todo aquello todo aquello en ese vino puro transformado
Del que París tenía sed
Me fue entonces presentado

Acciones bellas jornadas sueños terribles
Vegetación acoplamiento músicas eternas
Movimientos adoraciones dolor divino
Mundos que os agrupáis y que se nos asemejan
He bebido de vosotros y no he sido saciado

Pero desde entonces conocí aquel sabor de universo

Ebrio estoy de haber bebido todo el universo
sobre el muelle donde veía la onda correr y dormir las balandras

Escuchadme soy el gaznate de París
Y si me place beberé aún del universo

Escuchad mis cantos de borrachera universal

Y la noche de septiembre se consumía lentamente
Morían las estrellas y apenas nacía la mañana
Se apagaban en el Sena los fuegos rojos de los puentes

Versión de David Horta Pimentel

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