L'Irrémédiable
Charles Baudelaire (1821-1867)
I
Une Idée, une Forme, un Etre
Parti de l'azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul oeil du Ciel ne pénètre;
Un Ange, imprudent voyageur
Qu'a tenté l'amour du difforme,
Au fond d'un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres!
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres;
Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles
Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé;
Un damné descendant sans lampe
Au bord d'un gouffre dont l'odeur
Trahit l'humide profondeur
D'éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu'eux;
Un navire pris dans le pôle
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle;
- Emblèmes nets, tableau parfait
D'une fortune irrémédiable
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu'il fait!
II
Tête-à-tête sombre et limpide
Qu'un coeur devenu son miroir!
Puits de Vérité, clair et noir
Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
- La conscience dans le Mal!
Lo irremediable
I
Una Idea, una Forma, un Ser
Surgido del azur y caído
En una Estigia cenagosa y plomiza
Donde ninguna mirada del Cielo penetra;
Un Ángel, imprudente viajero
Que ha tentado el amor de lo informe,
En el fondo de una pesadilla enorme
Debatiéndose como un nadador,
Y luchando, ¡angustias fúnebres!
Contra un gigantesco remolino
Que va cantando como los locos
Y pirueteando en las tinieblas;
Un desdichado hechizado
En sus tanteos fútiles,
Para huir de un lugar lleno de reptiles,
Buscando la luz y la clave;
Un condenado descendiendo sin lámpara
Al borde de un abismo cuyo olor
Traiciona la húmeda profundidad,
De eternas escaleras sin peldaños,
Donde velan monstruos viscosos
Cuyos enormes ojos fosforescentes
Hacen una noche más negra todavía
Dejándoles visibles sólo a ellos;
Un navío apresado en el polo,
Como en una trampa de cristal,
Buscando por qué estrecho fatal
Ha caído en aquel calabozo;
-Emblemas nítidos, cuadro perfecto
De una fortuna irremediable,
¡Qué hace pensar que el Diablo
Realiza siempre bien cuanto él hace!
II
¡Coloquio sombrío y límpido
De un corazón convertido en su espejo!
Pozo de la Verdad, claro y negro,
Donde tiembla una estrella lívida,
Un faro irónico, infernal,
Antorcha de gracias satánicas,
Consuelo y gloria únicos,
-¡La conciencia en el Mal!
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