Paul Claudel -Le fleuve- |
mardi, mars 07, 2006 |
Le fleuve Paul Claudel (1868-1955)
Pour expliquer le fleuve avec l'eau autre chose, pas autre chose que l'immense pente irrésistible ! Et pas autre chose pour carte et pour idée que tout de suite ! et cette dévoration sur-le-champ de l'immédiat et du possible! Pas d'autre programme que l'horizon et la mer prodigieusement là-bas ! Et cette complicité du relief avec le désir et avec le poids ! Pas d'autre violence que la douceur, et patience que continuité, et outil que l'intelligence, et pas d'autre liberté Que ce rendez-vous en avant de moi sans cesse avec l'ordre et la nécessité ! Et pas ce pied qui succède au pied, mais une masse qui s'accroît et qui s'appesantit et qui marche, Un continent tout entier avec moi, la terre prise de pensée qui s'ébranle et qui s'est mise en marche ! Sur tous les points de son bassin qui est le monde et par toutes les fibres de son aire Le fleuve pour le rencontrer a provoqué toutes sortes de sources nécessaires, Soit le torrent sous les rocs à grand bruit, soit ce fil du haut des monts virginal qui brille à travers l'ombre sainte, Soit le profond marais odorant d'où une liqueur trouble suinte, L'idée essentielle à perte de vue enrichie par la contradiction et l'accident Et l'artère en son cours magistral insoucieuse des fantaisies de l'affluent. Il fait marcher à l'infini les moulins, et les cités l'une à l'autre par lui se deviennent intéressantes et explicables. Il traîne avec puissance derrière lui tout un monde illusoire et navigable. Et la dernière barre, aussi bien que la première et toutes les autres à la suite, il n'y a pas à douter Que, volonté de toute la terre en marche derrière lui, il n'arrive à la surmonter.
Ô Sagesse jadis rencontrée ! C'est donc toi sans que je le susse devant moi qui marchais aux jours de mon enfance, Et qui lorsque je trébuchais et tombais m'attendais avec tristesse et indulgence, Pour aussitôt peu à peu, le chemin, le reprendre avec une autorité invincible ! C'était toi à l'heure de mon salut, ce visage, je dis toi, haute vierge, la première que j'ai rencontrée dans la Bible ! C'est toi comme un autre Azarias qui avait pris charge de Tobie, Et qui ne t'es point lassée de ce troupeau fait d'une seule brebis. Que de pays ensemble parcourus! Que de hasards et que d'années! Et après une longue séparation la joie de ces retrouvailles inopinées! Maintenant le soleil est si bas que je pourrais le toucher avec la main, Et l'ombre que tu fais est si longue qu'elle trace comme un chemin, À perte de vue derrière toi identifié avec ton vestige ! Qui tient les yeux levés sur toi ne craint point l’hésitation ou le vertige. Que ce soit la forêt ou la mer, ou le brouillard même et la pluie et le divers aspect de la contrée, Tout à la vision de ta face devient connaissable et doré. Et moi, je t'ai suivie partout, ainsi qu'une mère honorée.
El río
¡Para explicar el río con el agua, nada hay sino la inmensa pendiente irresistible! ¡Y, a modo de mapa y de concepto, nada sino, en seguida, esta devoración al instante de lo inmediato y de lo cosible! ¡Ningún otro programa más que el horizonte y el mar prodigiosamente a lo lejos! ¡Y esta complicidad del relieve con el deseo y con el peso! ¡Ninguna otra violencia más que la dulzura, ni otra paciencia que la continuidad, otra herramienta que la inteligencia, ni otra libertad. ¡Qué esta cita con el orden y la necesidad que sin cesar me precede! ¡Y no este pie que sigue al pie, sino una masa que aumenta y cobra peso y que camina, Un continente entero conmigo, la tierra que, tomada por un pensamiento, se despierta y se pone en marcha! En todos los puntos de su cuenca, que es el mundo, y a través de todas las venas de su territorio, El río, para encontrarlo, ha creado todo tipo de fuentes necesarias, Ya sea el torrente ruidoso bajo las rocas, ya ese hilo de lo alto de las montañas virginal que brilla a través de la sombra sagrada, O la profunda ciénaga olorosa de donde rezuma un líquido turbio, La idea esencial, hasta lo inalcanzable, enriquecida por la contradicción y el accidente Y la arteria en su curso magistral ajena a las fantasías del afluente. Hace girar eternamente los molinos, y una a una las ciudades, gracias a él, se vuelven interesantes y comprensibles. Arrastra con él y con su fuerza todo un mundo ilusorio y navegable. Y no hay duda de que, por voluntad de toda la tierra en marcha tras él, no logra superar la última barrera, Lo mismo que la primera y todas las que le siguieron.
¡Ah, tu Sabiduría antaño conocida! ¡Eres tú, pues, quien, sin que yo lo supiera, caminaba delante de mí en los días de mi infancia, Y quien, cuando yo tropezaba y me caía, esperaba por mí con tristeza e indulgencia, Para en seguida, poco a poco, retomar el camino con una autoridad invencible! ¡Eras tú en la hora de mi salvación, ese rostro, tú, digo, alta virgen, la primera que encontré en la Biblia! Eres tú como otro Azarías, que se hizo cargo de Tobías, Que nunca te hartaste de ese rebaño de una sola oveja. ¡Cuántas tierras recorrimos juntos! ¡Cuántos peligros, cuántos años! ¡Y tras una larga separación, k alegría de este reencuentro inesperado! ¡Ahora el sol está tan bajo que podría tocarlo con la mano, Y la sombra que proyectas es tan larga que parece trazar un camino, Hasta perderse de vista detrás de ti, identificado con tu vestigio! Quien alza los ojos hacia ti no teme la duda o el vértigo. Ya sea el bosque o el mar, o incluso la niebla y la lluvia o el cambiante aspecto de la comarca, Todo al mirar tu rostro se vuelve conocible y dorado. Y por mi parte te seguí por doquier, como a una madre a la que se honra.
Versión de Régulo HernándezLibellés : Paul Claudel |
posted by Alfil @ 8:19 AM |
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