Arthur Rimbaud -Bal des pendus- |
mercredi, septembre 08, 2004 |
Bal des pendus Arthur Rimbaud (1854-1891)
Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins.
Messire Belzébuth tire par la cravate Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel, Et, leur claquant au front un revers de savate, Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles Comme des orgues noirs, les poitrines à jour Que serraient autrefois les gentes damoiselles Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah ! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse ! On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs ! Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse ! Belzébuth enragé racle ses violons !
Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale ! Presque tous ont quitté la chemise de peau ; Le reste est peu gênant et se voit sans scandale. Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées, Un morceau de chair tremble à leur maigre menton : On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées, Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes ! Le gibet noir mugit comme un orgue de fer ! Les loups vont répondant des forêts violettes : A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres : Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre : Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque Avec des cris pareils à des ricanements, Et, comme un baladin rentre dans la baraque, Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins.
El baile de los ahorcados
En la horca negra bailan, amable manco, bailan los paladines, los descarnados danzarines del diablo; danzan que danzan sin fin los esqueletos de Saladín.
¡Monseñor Belzebú tira de la corbata de sus títeres negros, que al cielo gesticulan, y al darles en la frente un buen zapatillazo les obliga a bailar ritmos de Villancico!
Sorprendidos, los títeres, juntan sus brazos gráciles: como un órgano negro, los pechos horadados, que antaño damiselas gentiles abrazaban, se rozan y entrechocan, en espantoso amor.
¡Hurra!, alegres danzantes que perdisteis la panza, trenzad vuestras cabriolas pues el tablao es amplio, ¡Que no sepan, por Dios, si es danza o es batalla! ¡Furioso, Belzebú rasga sus violines!
¡Rudos talones; nunca su sandalia se gasta! Todos se han despojado de su sayo de piel: lo que queda no asusta y se ve sin escándalo. En sus cráneos, la nieve ha puesto un blanco gorro.
El cuervo es la cimera de estas cabezas rotas; cuelga un jirón de carne de su flaca barbilla: parecen, cuando giran en sombrías refriegas, rígidos paladines, con bardas de cartón.
¡Hurra!, ¡que el cierzo azuza en el vals de los huesos! ¡y la horca negra muge cual órgano de hierro! y responden los lobos desde bosques morados: rojo, en el horizonte, el cielo es un infierno...
¡Zarandéame a estos fúnebres capitanes que desgranan, ladinos, con largos dedos rotos, un rosario de amor por sus pálidas vértebras: ¡difuntos, que no estamos aquí en un monesterio!.
Y de pronto, en el centro de esta danza macabra brinca hacia el cielo rojo, loco, un gran esqueleto, llevado por el ímpetu, cual corcel se encabrita y, al sentir en el cuello la cuerda tiesa aún,
crispa sus cortos dedos contra un fémur que cruje con gritos que recuerdan atroces carcajadas, y, como un saltimbanqui se agita en su caseta, vuelve a iniciar su baile al son de la osamenta.
En la horca negra bailan, amable manco, bailan los paladines, los descarnados danzarines del diablo; danzan que danzan sin fin los esqueletos de Saladín.Libellés : Arthur Rimbaud |
posted by Alfil @ 2:40 PM |
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