Paysage
Charles Baudelaire (1821-1867)
Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
Paisaje
Yo quiero, para componer cástamente mis églogas,
acostarme cerca del cielo, como los astrólogos,
y, vecino de campanarios escuchar mientras sueño
los himnos solemnes llevados por el viento.
Las dos manos al mentón, desde lo alto de mi buhardilla,
veré el taller que canta y que charla;
las chimeneas, los campanarios, esos mástiles de la ciudad,
y los grandes cielos que hacen soñar con lo eterno.
Es dulce, a través de las brumas, ver nacer
la estrella en el azur, la lámpara en la ventana,
los ríos de carbón subir al firmamento
y la luna verter su pálido encantamiento.
Veré las primaveras, los estíos, los otoños;
y cuando venga el invierno de nieves monótonas,
cerraré en todas partes puertas y postigos
para edificar en la noche mis feéricos palacios.
Entonces soñaré horizontes azulados,
jardines, chorros de agua llorando en los alabastros,
besos, aves cantando tarde y mañana,
y todo aquello que el Idilio tiene de más infantil.
El Motín, tronando vanamente tras mi cristal,
no hará levantar mi frente de mi pupitre.
Pues yo estaré inmerso en esta voluptuosidad
de evocar la Primavera con mi voluntad,
de sacar un sol de mi corazón, y de hacer
de mis pensamientos ardientes una tibia atmósfera.
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