dimanche, avril 23, 2006

Charles Baudelaire -Le crépuscule du soir-

Le crépuscule du soir
Charles Baudelaire (1821-1867)

Voici le soir charmant, ami du criminel;
Il vient comme un complice, à pas de loup; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve.

O soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui
Nous avons travaillé! - C'est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s'alourdit,
Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.

Cependant des démons malsains dans l'atmosphère
S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,
Et cognent en volant les volets et l'auvent.
A travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s'allume dans les rues;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.

On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler;
Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,
S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,

Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent!
La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun;
L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - Plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n'ont jamais vécu!


Crepúsculo vespertino

He aquí la noche encantadora, amiga del criminal;
Llega como un cómplice, a paso de lobo; el cielo
Se cierra lentamente cual una gran alcoba,
Y el hombre impaciente se cambia en bestia salvaje.

¡Oh noche!, amable noche, deseada por aquel
Cuyos brazos, sin mentir, pueden decir: ¡Hoy
Hemos trabajado! - Es la noche la que alivia
Los espíritus que devora un dolor salvaje,
El sabio obstinado cuya frente se abruma,
Y el obrero encorvado que recobra su lecho.

Mientras tanto demonios malignos en la atmósfera
Se despiertan pesadamente, cual hombres de negocios,
Y golpean al volar los postigos y el altillo.
A través de las luces que atormenta el viento
La Prostitución se enciende en las calles;
Como un hormiguero ella abre sus salidas;
Por todas partes traza un oculto camino,
Cual el enemigo que intenta un asalto;
Ella se agita en el seno de la ciudad de fango
Como un gusano que roba al Hombre lo que ha comido.

Se escuchan aquí y allí las cocinas silbar,
Los teatros chillar, las orquestas roncar;
Las mesas redondas, en las que el juego hace las delicias,
Llénanse de rameras y de estafadores, sus cómplices,

Y los ladrones, que no tienen tregua ni merced,
Pronto han de comenzar su trabajo, ellos también,
Y forzar suavemente las puertas y las cajas
Para vivir unos días y vestir a sus amantes.

¡Recógete, alma mía, en este grave instante,
Y cierra tu oído a este rugido.
Esta es la hora en que los dolores de los enfermos se agudizan!
La Noche sombría les agarra la garganta; concluyen
Su destino y van hacia la fosa común;
El hospital se llena de sus suspiros. - Más de uno
No llegará jamás en busca de la sopa perfumada,
AI rincón del hogar, de noche, junto a un alma amada.

Todavía la mayoría de ellos, jamás han conocido
La Dulzura del hogar, ¡Jamás han vivido!

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