Femmes damnées
Charles Baudelaire (1821-1867)
Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchent et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.
Les unes, coeurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l'amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux;
D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d'apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations;
II en est, aux lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
O Bacchus, endormeur des remords anciens!
Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L'écume du plaisir aux larmes des tourments.
O vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d'infini dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,
Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins
Mujeres condenadas
Como un rebaño pensativo sobre la arena acostadas,
entornan los ojos hacia el horizonte marino,
y sus pies que se buscan y sus manos enlazadas
tienen dulces languideces, amargos escalofríos.
Unas, corazones que aman las largas confidencias,
en el corazón de los bosques y junto a los arroyos,
deletrean el amor de las tímidas infancias
y marcan en el tronco los jóvenes arbolillos;
otras, como hermanas, andan lentas, graves,
a través de las rocas llenas de apariciones,
donde san Antonio vio surgir como lavas,
desnudo el seno, a sus purpúreas tentaciones.
Las hay que a la lumbre de resinas goteantes,
en el hueco mudo de los viejos antros paganos,
te llaman en socorro de sus fiebres aullantes,
¡oh Baco, adormecedor de viejos remordimientos!
Y otras, cuya garganta gusta de escapularios,
que, ocultando un látigo bajo sus largos vestidos,
mezclan en la noche oscura y los bosques solitarios
espuma del placer y lágrimas de la tortura.
¡Oh vírgenes, oh demonios, oh monstruos, oh mártires!,
grandes espíritus negadores de la realidad,
buscadores de lo infinito, devotos y sátiros,
ora llenos de furor, ora llenos de llanto,
vosotras, a las que en vuestro infierno mi alma os [ha seguido,
pobres hermanas, os amo tanto como os compadezco
por vuestras dolorosas tristezas, vuestra sed no saciada,
y las urnas de amor que llenan vuestro corazón.
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