Zone Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières Portraits des grands hommes et mille titres divers
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité C’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Énoch Élie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles À tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pihis longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis voici la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pihis de la Chine Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse Et l’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et dans l’angoisse C’est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées
J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
Suburbio
Al final te has cansado de este viejo mundo
Ah Torre Eifíel pastora esta mañana bala tu rebaño de puentes
Hastiada de vivir en la antigüedad grecorromana Aquí incluso los coches parecen viejos Sólo la religión sigue siendo nueva la religión Sigue siendo sencilla como los hangares de Port-Aviation
El único en Europa que no eres antiguo eres tú Cristianismo El Europeo más moderno es usted Pío X Y a ti al que observan las ventanas la vergüenza te impide Entrar en una iglesia y confesarte esta mañana Lees folletos catálogos carteles que cantan bien alto Poesía para esta mañana y para la prosa están los periódicos Las entregas a 25 céntimos llenas de aventuras policíacas Vidas de grandes hombres y rnil títulos diferentes
He visto esta mañana una bonita calle cuyo nombre olvidé Nueva y limpia era el clarín del sol
Los directores los obreros y las hermosas mecanógrafas De la mañana del lunes al sábado noche pasan por ella cuatro veces al día Allí por la mañana gime tres veces la sirena Las doce una campana ladra con rabia Las leyendas de los letreros y los muros Los carteles los rótulos vocean como loros Me gusta el encanto de esta calle industrial Situada en París entre la calle Aumont-Thiéville y la avenida de Ternes
Miras la nueva calle y no eres más que un niño Vestido por tu madre sólo de azul y blanco Eres muy religioso y con tu amigo más viejo René Dalize Nada os agrada tanto como la pompa de la Iglesia Son las nueve la luz de gas ya azul a escondidas salís del dormitorio Rezáis toda la noche en la capilla del colegio Mientras eterna y adorable profundidad amatista Gira por siempre la llameante gloria de Cristo Es la hermosa azucena que todos cultivarnos Es la antorcha de rojos cabellos que el viento no apaga Es el pálido hijo bermejo de la madre doliente Es el árbol por siempre frondoso de todas las plegarias
Es el doble sustento del honor y de la eternidad Es una estrella de seis puntas Es Dios que muere el viernes y resucita los domingos Es Cristo que sube a los cielos mejor que los aviadores Tiene el récord mundial de altura
Pupila Cristo del ojo Vigésima pupila de los siglos sabe cómo arreglárselas Y convertido en pájaro este siglo sube por el aire como Jesús I Los demonios en los abismos levantan la vista para mirarlo Dicen que imita en Judea a Simón el mago Gritan que si sabe saltar le llamen salteador Los ángeles revolotean en torno al bello volatinero Icaro Enoch Elias Apolonio de Tiana Flotan alrededor del primer aeroplano A veces se apartan y dejan pasar a los que llevan la santa Eucaristía Esos curas que suben eternamente elevando la hostia El avión se posa por fin sin abatir las alas Luego el cielo se llena de millones de golondrinas Llegan a todo vuelo cuervos halcones búhos De África llegan ibis flamencos marabúes El pájaro Roe celebrado por narradores y poetas Planea llevando en sus garras el cráneo de Adán primera cabeza Surge del horizonte el águila lanzando un grito Y de América llega el diminuto colibrí Han llegado de China los pihís largos y ligeros Sólo tienen un ala y vuelan en parejas Luego aparece la paloma inmaculado espíritu Escoltada por el pájaro-lira y el pavo ocelado El fénix esa hoguera que se engendra a sí misma Por un momento todo lo oscurece con su ardiente ceniza Dejando peligrosos estrechos tres sirenas Llegan cantando dulcemente Y todos fénix águila y pihís de la China Confraternizan con la volante máquina
Ahora caminas solo por París entre la muchedumbre Rebaños de autobuses que mugen circulan a tu lado La angustia del amor te aprieta la garganta Como si nunca más fueras a ser amado Si vivieras en otro tiempo te irías a un monasterio Uno siente vergüenza al descubrirse diciendo una oración Te burlas de ti mismo y como el fuego del Infierno tu risa chisporrotea Las chispas de tu risa doran el fondo de tu vida Es un cuadro colgado en un museo oscuro Y algunas veces vas a mirarlo de cerca
Hoy andas por París las mujeres están ensangrentadas Era y querría no acordarme era en el declinar de la belleza
Rodeada de llamas fervientes me miró Nuestra Señora en Chartres La sangre de vuestro Sagrado Corazón me ha inundado en Montmartre Me enferma oír palabras bienaventuradas Este amor que yo sufro es una vergonzosa enfermedad Y la imagen que te posee te hace sobrevivir al insomnio y la angustia Está siempre a tu lado esta imagen que pasa
Ahora estás a la orilla del mar Mediterráneo Bajo los limoneros en flor durante todo el año Das un paseo en barca con algunos amigos Uno es de Niza hay uno de Mentón y dos de la Turbie Miramos con espanto los pulpos de las profundidades Y entre las algas nadan peces imágenes del Salvador
Estás en el jardín de un hotel cerca de Praga Sobre la mesa hay una rosa te sientes muy feliz Y en lugar de escribir tu cuento en prosa observas La cetonia que duerme en medio de la rosa Con espanto te ves dibujado en las ágatas de Saint-Vit Muy triste estabas ese día viéndote allí Te pareces a Lázaro enloquecido por la luz Marchan hacia atrás las agujas del reloj del barrio judío Y lentamente retrocedes por tu vida también Al subir al Hradchin y escuchar por las noches Cantar canciones checas en las tascas
Ahora estás en Marsella entre sandías
Ahora estás en Coblenza en el hotel Géant
Ahora estás en Roma sentado bajo un níspero del Japón
Estás en Amsterdam con una joven que crees hermosa y que es fea Debe casarse con un estudiante de Leiden Se alquilan habitaciones en latín Cubicula locanda Recuerdo haber pasado allí tres días y otros tantos en Gouda
Estás en París ante el juez de instrucción Te arrestan como a un criminal
Has hecho viajes dolorosos y felices Antes de darte cuenta de la mentira y de la edad Por amor has sufrido a los veinte años y a los treinta Como un loco he vivido y he perdido el tiempo Ya no te atreves a mirarte las manos yo querría llorar todo el tiempo Por ti por la que amo por cuanto te ha asustado
Miras con ojos llenos de lágrimas a estos pobres emigrantes Creen en Dios rezan las mujeres amamantan a los niños Impregnan con su olor la estación Saint-Lazare Confian en su estrella como los reyes magos Esperan conseguir dinero en Argentina Y volver a su tierra después de hacer fortuna Una familia transporta una manta roja como cualquiera transporta su corazón Aquella manta y nuestros sueños son igual de irreales Algunos de esos emigrantes se quedan y se alojan En la calle Des Rosiers o en Des Écouffes en tugurios Los he visto a menudo mientras toman el aire por la noche en la calle Apenas si se mueven como las piezas de ajedrez Casi todos judíos sus mujeres llevan peluca Sentadas en las tiendas permanecen exánimes
Estás de pie en la barra en un bar indecente Te tomas un café barato con los pobres Por la noche te encuentras en un gran restaurante
Estas mujeres no son malas pero tienen problemas Todas incluso la más fea han hecho sufrir a sus amantes
Esa es hija de un guardia municipal de Jersey
No había visto sus manos que están endurecidas y agrietadas
Siento una inmensa lástima por las señales de su vientre
Ante la horrible risa de una pobre muchacha humillo ahora mi boca
Estás solo va a amanecer Los lecheros hacen sonar en las calles sus cántaros
Igual que una hermosa Mestiza la noche se aleja Es Ferdine la falsa o Lea la atenta
Y bebes este alcohol ardiente como la vida Esa vida que bebes igual que un aguardiente
Caminas hacia Auteuil quieres volver a pie a tu casa Dormir con tus fetiches de Guinea y Oceanía
Ellos son Cristos de otra forma y de otra creencia Los Cristos inferiores de las oscuras esperanzas
Adiós Adiós
Sol cuello cortado
Versión de Fátima Sáinz Libellés : Guillaume Apollinaire |