Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
À Élémir Bourges
Le chat
Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Le lion
Ô lion, malheureuse image
Des rois chus lamentablement,
Tu ne nais maintenant qu'en cage
À Hambourg, chez les Allemands.
Le lièvre
Ne sois pas lascif et peureux
Comme le lièvre et l'amoureux.
Mais que toujours ton cerveau soit
La hase pleine qui conçoit.
Le lapin
Je connais un autre connin
Que tout vivant je voudrais prendre.
Sa garenne est parmi le thym
Des vallons du pays de Tendre.
La souris
Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie.
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans
Et mal vécus, à mon envie.
L'éléphant
Comme un éléphant son ivoire,
J'ai en bouche un bien précieux.
Pourpre mort !... J'achète ma gloire
Au prix des mots mélodieux.
La mouche
Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.
Le poulpe
Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain,
c'est moi-même.
La méduse
Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.
Le hibou
Mon pauvre cœur est un hibou
Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.
De sang, d'ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m'aiment, je les loue.
La chèvre du Thibet
Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de peine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.
Le cheval
Mes durs rêves formels sauront se chevaucher,
Mon destin au char d'or sera ton beau cocher
Qui pour rênes tiendrz tendus à frénésie,
Mes vers, les parangons de toute poésie.
El Bestiario o Cortejo de Orfeo
El dromedario
Teniendo cuatro dromedarios
Don Pedro de Alfarubeira
Fue por el mundo y lo admiró.
Él hizo lo que hiciera yo
Teniendo cuatro dromedarios.
La cabra del Tibet
Los pelos de esta cabra, y esos
Dorados, el embeleso
De Jasón, nada son al lado
De los que me han enamorado.
La langosta
Es esta la esbelta langosta,
El alimento de San Juan;
Ojalá mis versos, como ella,
De buenas gentes sea el pan.
El delfín
Delfines, jugáis en el mar,
Pero las olas son amargas.
¿A veces brota mi alegría?
La vida es siempre despiadada.
El cangrejo
Incertidumbre, iremos lejos
y alegres, sin volver jamás,
Así como van los cangrejos;
De para atrás... de para atrás...
La carpa
En los estanques y en las charcas,
Cuánto tiempo vivís, ¡áh carpas!
¿Acaso la muerte os olvida,
Peces de la melancolía?
Versión de Otto de Greiff
Le Bestiaire
RépondreSupprimerLe dromadaire
Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d'Alfaroubeira
Courut le monde et l'admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j'avais quatre dromadaires.
La chèvre du Thibet
Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de paine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.
La sauterelle
Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissant mes vers être comme elle,
Le régal des meilleures gens.
Le Dauphin
Dauphins, vous jouez dans la mer,
Mais le flot est toujours amer.
Parfois, ma joie éclate-t-elle?
La vie est encore cruelle.
L'écrevisse
Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses,
À reculons, à reculons.
La Carpe
Dans vos viviers, dans vos étangs,
Carpes, que vous vivez longtemps !
Est-ce que la mort vous oublie,
Poissons de la mélancolie.
Le Bestiaire
El dromedario
Con sus cuatro dromedarios
Don Pedro de la Albufera
Recorrió el mundo y lo admiró.
Hizo lo que yo hiciera
De tener cuatro dromedarios.
La cabra del Tibet
Los pelos de esta cabra, incluso
Aquellos de oro que dieron tanto trabajo
A Jasón, nada valen si se comparan
Con los cabellos de los que estoy prendado.
El saltamontes
He aquí el delicado saltamontes,
El alimento de San Juan.
Puedan mis versos ser como él,
Regalo de los mejores.
El delfín
Delfines, jugáis en el mar,
Pero la marea es siempre amarga.
Mi dicha ¿a veces estalla?
Vivir sigue siendo cruel.
El cangrejo
Incertidumbre, oh delicias
Vosotras y yo nos marchamos
Como se van los cangrejos,
A reculones, a reculones.
La carpa
En los viveros, vuestros estanques,
Carpas, ¡vivís mucho tiempo!
¿Es que la muerte os olvida?
Pescados de la melancolía.