La jolie rousse Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette querre Entre nous et pour nous mes amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l'invention De l'Ordre et de l'Aventure
Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu Bouche qui est l'ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez A ceux qui furent la perfection de l'ordre Nous qui quêtons partout l'aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et étranges domaines Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l'illimité et de l'avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Voici que vient l'été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps O Soleil c'est le temps de la Raison ardente Et j'attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu'elle prend afin que je l'aime seulement Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant Elle a l'aspect charmant D'une adorable rousse
Ses cheveux sont d'or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les rose-thé qui se fanent
Mais riez riez de moi Hommes de partout surtout gens d'ici Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi
La linda pelirroja
Estoy aquí delante de todos un hombre con sentido común que conoce la vida y de la muerte lo que un hombre puede conocer probó los dolores y los goces del amor impuso algunas veces sus ideas conoce varias lenguas y no ha viajado poco vio la guerra en la infantería y la artillería herido en la cabeza trepanada bajo el cloroformo perdió sus mejores amigos en la espantosa lucha sé de lo antiguo y de lo nuevo lo que un hombre solitario puede saber de esas cosas y sin inquietarme hoy de esta guerra entre nosotros y para vosotros amigos míos juzgo esta larga querella de la tradición y de la invención del orden y de la aventura Vosotros con la boca hecha a la imagen de la boca de Dios boca que es el orden mismo sed indulgentes al compararnos con los que fueron la perfección y el orden nosotros que siempre buscamos la aventura no somos enemigos Al queremos daros vastos y extraños dominios donde el misterio germina para el que quiera cosecharlo hay fuegos nuevos colores nunca vistos mil fantasmas imponderables para darles realidad y explorar la bondad país enorme y silencioso hay tiempo para desterrar y tiempo para el regreso piedad para nosotros que combatimos siempre en las fronteras de lo ilimitado y lo porvenir piedad para nuestros errores piedad para nuestros pecados He aquí que viene el estío la estación violenta y mi juventud ha muerto como la primavera oh sol es el tiempo de la razón ardiente y espero para seguir la forma noble y dulce que adopta ella para que pueda amarla llega y me atrae como al hierro el imán tiene el aspecto encantadorde una adorable pelirroja Sus cabellos son de oro se diría un bello relámpago que nunca acaba o esas llamas que presumen en las rosas te marchitas ya Reíd reíd de mí hombres de todas partes sobre todo gentes de aquí porque hay tantas cosas que no me atrevo a decir tantas cosas que no me dejaríais decir tened piedad de mí
Versión de José Umaña BernalLibellés : Guillaume Apollinaire |