Tutuguri. Le rite du soleil noir
Antonin Artaud (1896-1948)
Et en bas, comme au bas de la pente amère,
cruellement désespérée du cœur,
s'ouvre le cercle des six croix,
très en bas,
comme encastré dans la terre mère,
désencastré de l'étreinte immonde de la mère
qui bave.
La terre de charbon noir
est le seul emplacement humide
dans cette fente de rocher.
Le Rite est que le nouveau soleil passe par sept points
avant d'éclater à l'orifice de la terre.
Et il y a six hommes,
un pour chaque soleil,
et un septième homme
qui est le soleil tout
cru
habillé de noir et de chair rouge.
Or, ce septième homme
est un cheval,
un cheval avec un homme qui le mène.
Mais c'est le cheval
qui est le soleil
et non l'homme.
Sur le déchirement d'un tambour et d'une trompette longue,
étrange,
les six hommes
qui étaient couchés,
roulés à ras de terre,
jaillissent successivement comme des tournesols,
non pas soleils mais sols tournants,
des lotus d'eau,
et à chaque jaillissement
correspond le gong de plus en plus sombre
et rentré
du tambour
jusqu'à ce que tout à coup on voie arriver au grand galop,
avec une vitesse de vertige,
le dernier soleil,
le premier homme,
le cheval noir avec un
homme nu,
absolument nu
et vierge
sur lui.
Ayant bondi, ils avancent suivant des méandres circulaires
et le cheval de viande saignante s'affole
et caracole sans arrêt
au faîte de son rocher
jusqu'à ce que les six hommes
aient achevé de cerner
complètement les six croix.
Or, le ton majeur du Rite est justement
L'ABOLITION
DE LA CROIX.
Ayant achevé de tourner
ils déplantent
les croix de terre
et l'homme nu
sur le cheval
arbore
un immense fer à cheval
qu'il a trempé dans une coupure de son sang.
Tutuguri. El rito del sol negro
Y abajo, como en lo bajo del amargo declive,
cruelmente desesperado del corazón,
se abre el círculo de las seis cruces,
muy abajo
como encastrado en la tierra madre,
desencantado del inmundo abrazo de la madre
que babea,
la tierra de carbón negro
es el único emplazamiento húmedo
en esta hendidura de peñasco.
El rito consiste en que el nuevo sol pase por siete puntos
antes de estallar en el orificio de la tierra.
y hay seis hombres,
uno para cada sol
y un séptimo hombre
que es el sol totalmente
crudo
vestido de negro y de roja carne.
Ahora bien: este séptimo hombre
es un caballo,
un caballo con un hombre que lo lleva.
Pero es el caballo
el sol
y no el hombre.
Sobre el desgarramiento de un tambor y de una larga trompeta
extraña,
los seis hombres
que estaban acostados,
arrollados al ras de la tierra
brotan sucesivamente como girasoles
no soles
sino suelos giratorios,
lotos de agua,
y a cada brote
corresponde el gong más y más sombrío
y recogido
del tambor
hasta que de pronto se ve llegar a gran galope,
con una velocidad de vértigo,
el último sol,
el primer hombre,
el caballo negro con un
hombre desnudo
absolutamente desnudo
y virgen
sobre él.
Después del salto,
meandros circulares
y le caballo de carnes sangrantes enloquece
y caracolea sin cesar
en la cima de un peñasco
hasta que los seis hombres
acaben de cercar
completamente
las seis cruces.
Pues el tono mayor del rito es justamente
LA ABOLICION
DE LA CRUZ
Cuando acaban de girar
arrancan
las cruces de tierra
y el hombre desnudo
sobre el caballo
enarbola
una inmensa herradura
que ha empapado en una grieta de su sangre.
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