Yves Bonnefoy -L'adieu- |
mardi, avril 11, 2006 |
L'adieu Yves Bonnefoy (1923- )
Nous sommes revenus à notre origine. Ce fut le lieu de l'évidence, mais déchirée. Les fenêtres mêlaient trop de lumières, Les escaliers gravissaient trop d'étoiles Qui sont des arches qui s'effondrent, des gravats, Le feu semblait brûler dans un autre monde.
Et maintenant des oiseaux volent de chambre en chambre, Les volets sont tombés, le lit est couvert de pierres, L'âtre plein de débris du ciel qui vont s'éteindre. Là nous parlions, le soir, presque à voix basse A cause des rumeurs des voûtes, là pourtant Nous formions nos projets : mais une barque, Chargée de pierres rouges, s'éloignait Irrésistiblement d'une rive, et l'oubli Posait déjà sa cendre sur les rêves Que nous recommencions sans fin, peuplant d'images Le feu qui a brûlé jusqu'au dernier jour.
Est-il vrai, mon amie, Qu'il n'y a qu'un seul mot pour désigner Dans la langue qu'on nomme la poésie Le soleil du matin et celui du soir, Un seul le cri de joie et le cri d'angoisse, Un seul l'amont désert et les coups de haches, Un seul le lit défait et le ciel d'orage, Un seul l'enfant qui naît et le dieu mort ?
Oui, je le crois, je veux le croire, mais quelles sont Ces ombres qui emportent le miroir ? Et vois, la ronce prend parmi les pierres Sur la voie d'herbe encore mal frayée Où se portaient nos pas vers les jeunes arbres. Il me semble aujourd'hui, ici, que la parole Est cette auge à demi brisée, dont se répand A chaque aube de pluie l'eau inutile.
L'herbe et dans l'herbe l'eau qui brille, comme un fleuve. Tout est toujours à remailler du monde. Le paradis est épars, je le sais, C'est la tâche terrestre d'en reconnaître Les fleurs disséminées dans l'herbe pauvre, Mais l'ange a disparu, une lumière Qui ne fut plus soudain que soleil couchant.
Et comme Adam et Ève nous marcherons Une dernière fois dans le jardin. Comme Adam le premier regret, comme Ève le premier Courage nous voudrons et ne voudrons pas Franchir la porte basse qui s'entrouvre Là-bas, à l'autre bout des longes, colorée Comme auguralement d'un dernier rayon. L'avenir se prend-il dans l'origine Comme le ciel consent à un miroir courbe, Pourrons-nous recueillir de cette lumière Qui a été le miracle d'ici La semence dans nos mains sombres, pour d'autres flaques Au secret d'autres champs « barrées de pierres » ?
Certes, le lieu pour vaincre, pour nous vaincre, c'est ici Dont nous partons, ce soir. Ici sans fin Comme cette eau qui s'échappe de l'auge.
El adiós
Hemos vuelto a nuestro origen. Fue el lugar de la evidencia, aunque desgarrada. Las ventanas mezclaban demasiadas luces, Las escaleras trepaban demasiadas estrellas Que son arcos que se hunden, escombros, El fuego parecía arder en otro mundo.
Y ahora hay pájaros que vuelan de una habitación a la otra, Los postigos se cayeron, la cama está cubierta de piedras, La chimenea llena de restos del cielo que van a apagarse. Allí, por las tardes, hablábamos casi en voz baja Debido a los rumores de las bóvedas, allí, sin embargo, Formábamos nuestros proyectos: pero una barca, Cargada con piedras rojas, se alejaba Irresistiblemente de una orilla, y el olvido Depositaba ya su ceniza en los sueños Que sin fin recomenzábamos, poblando con imágenes El fuego que ardió hasta el último día.
¿Es cierto, amiga mía, Que no hay más que una palabra para nombrar En la lengua que llamamos poesía El sol de la mañana y el de la tarde, Una para el grito de alegría y el de angustia, Una para el desierto río arriba y los golpes de hacha, Una para la cama deshecha y el cielo tormentoso, Una para el niño que nace y el dios muerto?
Sí, lo creo, quiero creerlo, pero ¿qué sombras Son ésas que se llevan el espejo? Y, mira, la zarza crece entre las piedras En el camino de hierba aún apenas abierto Por el que nuestros pasos iban hacia los jóvenes árboles. Hoy me parece, aquí, que la palabra Es el pesebre medio roto del que se escapa En cada amanecer de lluvia el agua inútil.
La hierba y en la hierba el agua que brilla, como un río. Todo está siempre a la espera de que una vez más se lo ate al mundo. Sé que el paraíso está diseminado, Es tarea terrestre el reconocer Sus flores dispersas en la hierba pobre, Pero el ángel ha desaparecido, una luz Que no fue, de golpe, sino un sol poniente.
Y como Adán y Eva caminaremos Por última vez en el jardín. Como Adán el primer pesar, como Eva la primera Osadía, querremos y no querremos Pasar por la puerta baja que se entreabre Allá a lo lejos, en la otra punta del ronzal, coloreada Como auguralmente por un último rayo. ¿Se toma el porvenir en el origen Como cabe el cielo en un cóncavo espejo? ¿Podremos recoger, de esa luz Que fue de aquí el milagro, En nuestras sombrías manos la simiente, para otros charcos En el secreto de otros campos "cercados de piedras"?
Por cierto, está aquí el lugar para vencer, para vencernos, El lugar de donde salimos esta tarde. Aquí sin fin Como esa agua que se escapa del pesebre.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel FrontánLibellés : Yves Bonnefoy |
posted by Alfil @ 6:35 PM |
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