Charles Baudelaire -Un voyage à Cythère- |
dimanche, avril 23, 2006 |
Un voyage à Cythère Charles Baudelaire (1821-1867)
Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l'entour des cordages; Le navire roulait sous un ciel sans nuages; Comme un ange enivré d'un soleil radieux.
Quelle est cette île triste et noire? - C'est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons Eldorado banal de tous les vieux garçons. Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.
- Ile des doux secrets et des fêtes du coeur! De l'antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arôme Et charge les esprits d'amour et de langueur.
Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation, Où les soupirs des coeurs en adoration Roulent comme l'encens sur un jardin de roses
Ou le roucoulement éternel d'un ramier! - Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. J'entrevoyais pourtant un objet singulier!
Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bâillant sa robe aux brises passagères;
Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.
De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture;
Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices, L'avaient à coups de bec absolument châtré.
Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes, Le museau relevé, tournoyait et rôdait; Une plus grande bête au milieu s'agitait Comme un exécuteur entouré de ses aides.
Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infâmes cultes Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.
Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes! Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement, remonter vers mes dents Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes;
Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher, J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires Des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.
- Le ciel était charmant, la mer était unie; Pour moi tout était noir et sanglant désormais, Hélas! et j'avais, comme en un suaire épais, Le coeur enseveli dans cette allégorie.
Dans ton île, ô Vénus! je n'ai trouvé debout Qu'un gibet symbolique où pendait mon image... - Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût!
Un viaje a Cyterea
Mi corazón, como un pájaro, revoloteaba feliz, y volaba libremente alrededor de las cuerdas; el navío corría bajo un cielo sin nubes, como ángel embriagado de un sol radiante.
¿Qué isla es ésta tan negra y triste?- Es Cyterea, nos dicen, un país famoso en las canciones, Eldorado trivial de todos los solterones. Mirad, después de todo es una pobre tierra.
-¡Isla de dulces secretos y de fiestas del corazón! De la antigua Venus el soberbio fantasma, más allá de tus mares flota como un aroma, y llena los espíritus de amor y languidez.
Bella isla de verdes mirtos, llena de capullos en flor, siempre venerada por todas las naciones, donde los suspiros de amantes corazones avanzan como el incienso por jardines de rosas
o el eterno arrullo de la paloma torcaz. -Cyterea no era más que una tierra pobre, un desierto rocoso turbado por gritos feroces. ¡Sin embargo, presentía yo allí algo singular!
Aquello no era un templo de sombras selváticas, donde la joven sacerdotisa, eterna enamorada de las flores, iba, el cuerpo ardiente por calores secretos, entreabriendo sus ropas a las brisas ligeras;
pero, he aquí que rozando la costa el bauprés, al asustar los pajáros con nuestras velas blancas, pudimos ver que era un patíbulo de tres zancas, destacado en el cielo, negro como un ciprés.
Las aves rapaces, posadas en su cumbre, destrozaban con furia a un ahorcado ya podrido: cada una hundía, como un clavo, su impuro pico en los rincones sangrientos de aquella podredumbre.
Eran los ojos agujeros, y del vientre desfondado los gruesos intestinos caían sobre los muslos; y sus verdugos, ahítos de espantosas delicias, a picotazos lo habían castrado por completo.
Bajo los pies, una manada de celosos cuadrúpedos levantado el hocico, merodeaba; una bestia más grande se agitaba en el centro, como un verdugo rodeado de auxiliares.
¡Oh habitante de Cyterea, de un cielo tan hermoso, silenciosamente sufrías estos insultos en una expiación de tus infames cultos, y los pecados que te impidieron el descanso eterno!
¡Ridículo ahorcado, tus dolores son los míos! Yo sentí, a la vista de tus miembros flotantes, como un vómito subir hasta mis dientes el largo río de hiel de mis antiguos dolores.
Ante ti, pobre diablo, tan caro de recordar, sentí todos los picos y todos los mordiscos de los cuervos fieros y de las panteras negras, que antaño tanto gozaban en machacar mi carne.
El cielo estaba embrujado, la mar en calma; para mí todo era negro y sangriento para siempre, ¡ay!, y tenía, como en un espeso sudario, el corazón amortajado en esta alegoría.
En tu isla, oh Venus, no encontré en mi viaje más que un patíbulo simbólico donde colgaba mi imagen... -¡Oh Señor! Dame la fuerza y el coraje ¡de contemplar mi cuerpo y mi alma sin asco!Libellés : Charles Baudelaire |
posted by Alfil @ 4:05 PM |
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