Victor Hugo -L'épopée du lion- III. La chasse et la nuit- |
vendredi, septembre 02, 2005 |
L'épopée du lion Victor Hugo (1802 -1885)
III. La chasse et la nuit
Le lion solitaire, Plein de l'immense oubli qu'ont les monstres sur terre, Se rendormit, laissant l'intègre nuit venir. La lune parut, fit un spectre du menhir, De l'étang un linceul, du sentier un mensonge, Et du noir paysage inexprimable un songe ; Et rien ne bougea plus dans la grotte, et, pendant Que les astres sacrés marchaient vers l'occident Et que l'herbe abritait la taupe et la cigale, La respiration du grand lion, égale Et calme, rassurait les bêtes dans les bois. Tout à coup des clameurs, des cors et des abois. Un de ces bruits de meute et d'hommes et de cuivres, Qui font que brusquement les forêts semblent ivres, Et que la nymphe écoute en tremblant dans son lit, La rumeur d'une chasse épouvantable emplit Toute cette ombre, lac, montagne, bois, prairie, Et troubla cette vaste et fauve rêverie. Le hallier s'empourpra de tous les sombres jeux 'une lueur mêlée à des cris orageux. On entendait hurler les chiens chercheurs de proies ; Et des ombres couraient parmi les claires-voies. Cette altière rumeur d'avance triomphait. On eût dit une armée ; et c'était en effet Des soldats envoyés par le roi, par le père, Pour délivrer le prince et forcer le repaire, Et rapporter la peau sanglante du lion. De quel côté de l'ombre est la rébellion, Du côté de la bête ou du côté de l'homme ? Dieu seul le sait ; tout est le chiffre, il est la somme. Les soldats avaient fait un repas copieux, Étaient en bon état, armés d'arcs et d'épieux, En grand nombre, et conduits par un fier capitaine. Quelques-uns revenaient d'une guerre lointaine, Et tous étaient des gens éprouvés et vaillants. Le lion entendait tous ces bruits malveillants, Car il avait ouvert sa tragique paupière ; Mais sa tête restait paisible sur la pierre, Et seulement sa queue énorme remuait.
Au dehors, tout autour du grand antre muet, Hurlait le brouhaha de la foule indignée ; Comme un essaim bourdonne autour d'une araignée, Comme une ruche autour d'un ours pris au lacet, Toute la légion des chasseurs frémissait ; Elle s'était rangée en ordre de bataille. On savait que le monstre était de haute taille, Qu'il mangeait un héros comme un singe une noix, Qu'il était plus hautain qu'un tigre n'est sournois, Que son regard faisait baisser les yeux à l'aigle ; Aussi lui faisait-on l'honneur d'un siège en règle. La troupe à coups de hache abattait les fourrés ; Les soldats avançaient l'un sur l'autre serrés, Et les arbres tendaient sur la corde les flèches. On fit silence, afin que sur les feuilles sèches On entendît les pas du lion, s'il venait. Et les chiens, qui selon le moment où l'on est Savent se taire, allaient devant eux, gueule ouverte, Mais sans bruit. Les flambeaux dans la bruyère verte Rôdaient, et leur lumière allongée en avant Éclairait ce chaos d'arbres tremblant au vent ; C'est ainsi qu'une chasse habile se gouverne. On voyait à travers les branches la caverne, Sorte de masse informe au fond du bois épais, Béante, mais muette, ayant un air de paix Et de rêve, et semblant ignorer cette armée. D'un âtre où le feu couve il sort de la fumée, D'une ville assiégée on entend le beffroi ; Ici rien de pareil ; avec un vague effroi, Tous observaient, le poing sur l'arc ou sur la pique, Cette tranquillité sombre de l'antre épique ; Les dogues chuchotaient entre eux je ne sais quoi ; De l'horreur qui dans l'ombre obscure se tient coi, C'est plus inquiétant qu'un fracas de tempête. Cependant on était venu pour cette bête, On avançait, les yeux fixés sur la forêt, Et non sans redouter ce que l'on désirait ; Les éclaireurs guettaient, élevant leur lanterne ; On regardait le seuil béant de la caverne ; Les arbres frissonnaient, silencieux témoins ; On marchait en bon ordre, on était mille au moins... Tout à coup apparut la face formidable. On vit le lion.
Tout devint inabordable Sur-le-champ, et les bois parurent agrandis ; Ce fut un tremblement parmi les plus hardis ; Mais, fût-ce en frémissant, de vaillants archers tirent, Et sur le grand lion les flèches s'abattirent, Un tourbillon de dards le cribla. Le lion, Pas plus que sous l'orage Ossa ni Pélion Ne s'émeuvent, fronça son poil, et grave, austère, Secoua la plupart des flèches sur la terre ; D'autres, sur qui ces dards se seraient enfoncés, Auraient certes trouvé qu'il en restait assez, Ou se seraient enfuis ; le sang rayait sa croupe ; Mais il n'y prit point garde, et regarda la troupe ; Et ces hommes, troublés d'être en un pareil lieu, Doutaient s'il était monstre ou bien s'il était dieu. Les chiens muets cherchaient l'abri des fers de lance. Alors le fier lion poussa, dans ce silence, A travers les grands bois et les marais dormants, Un de ces monstrueux et noirs rugissements Qui sont plus effrayants que tout ce qu'on vénère, Et qui font qu'à demi réveillé, le tonnerre Dit dans le ciel profond : Qui donc tonne là-bas ?
Tout fut fini. La fuite emporte les combats Comme le vent la brume, et toute cette armée, Dissoute, aux quatre coins de l'horizon semée, S'évanouit devant l'horrible grondement. Tous, chefs, soldats, ce fut l'affaire d'un moment, Croyant être en des lieux surhumains où se forme On ne sait quel courroux de la nature énorme, Disparurent, tremblants, rampants, perdus, cachés. Et le monstre cria : – Monts et forêts, sachez Qu'un lion libre est plus que mille hommes esclaves.
Les bêtes ont le cri comme un volcan les laves ; Et cette éruption qui monte au firmament D'ordinaire suffit à leur apaisement ; Les lions sont sereins plus que les dieux peut-être ; Jadis, quand l'éclatant Olympe était le maître, Les Hercules disaient : – Si nous étranglions A la fin, une fois pour toutes, les lions ? Et les lions disaient : – Faisons grâce aux Hercules.
Pourtant ce lion-ci, fils des noirs crépuscules, Resta sinistre, obscur, sombre ; il était de ceux Qui sont à se calmer rétifs et paresseux, Et sa colère était d'une espèce farouche. La bête veut dormir quand le soleil se couche ; Il lui déplaît d'avoir affaire aux chiens rampants ; Ce lion venait d'être en butte aux guet-apens ; On venait d'insulter la forêt magnanime ; Il monta sur le mont, se dressa sur la cime, Et reprit la parole, et, comme le semeur Jette sa graine au loin, prolongea sa clameur De façon que le roi l'entendit dans sa ville :
– Roi ! tu m'as attaqué d'une manière vile ! Je n'ai point jusqu'ici fait mal à ton garçon ; Mais, roi, je t'avertis, par-dessus l'horizon Que j'entrerai demain dans ta ville à l'aurore, Que je t'apporterai l'enfant vivant encore, Que j'invite à me voir entrer tous tes valets, Et que je mangerai ton fils dans ton palais.
La nuit passa, laissant les ruisseaux fuir sous l'herbe Et la nuée errer au fond du ciel superbe.
Le lendemain on vit dans la ville ceci :
L'aurore ; le désert ; des gens criant merci, Fuyant, faces d'effroi bien vite disparues ; Et le vaste lion qui marchait dans les rues.
La epopeya del león
III. Cacería nocturna
Quedó solo el León... En el olvido que rodea a las fieras se durmió. Vino la noche, se apagó el ruido y en el cielo la luna apareció... Espectro es cada roca blanquecina, cada árbol un fantasma colosal; cirios los astros; la sutil neblina una helada mortaja funeral. No cantan las cigarras... En su nido el ave muda se guarece al fin... la igual respiración del León dormido tranquiliza a las bestias del confín... Mas se oye de repente un clamor vago de voces de hombre y trompas de metal, y al par anuncian destrucción y estrago los ladridos de estrépito infernal ¡Es una cacería, horrible, extraña, que interrumpe aquel sueño encantador! La colina, y el valle, y la montaña despiertan y se agitan de terror... Un ejército finge...y es lo cierto: ¡un ejército viene a batallar con el monstruo feroz, que acaso ha muerto al príncipe que el cetro iba a heredar! Y soldados, monteros y mastines, se derraman del bosque en lo interior para encerrar la fiera en sus confines y arrancarle la presa á su furor... ¿Por qué en lo humano hay iras tan severas? ¿por qué el hombre del bruto corre en pos? Del problema, los hombres y las fieras son las cifras:-¡la suma es sólo Dios! Los soldados recuerdan sus campañas y aprestan otra nueva, en un festín; soñando ser, en bríos y en hazañas, cada cual en la lucha un paladín. Y marchan, avivando sus corceles, persiguiendo la fiera con afán… suenan las trompas, ladran los lebreles y tras el rastro apresurados van... Sigue la confusión... El León oyóla, alza los ojos, que la turba ven… mas no se levantó… la enorme cola sólo siguió moviendo con desdén...
Fuera de la caverna se sentía de la irritada gente el ronco estrépito, zumbando cual enjambre que á una araña persigue y la rodea en un momento o como amenazar suele rabiosa una jauría al oso prisionero… ¡así al León los cazadores buscan maniobrando en el orden de un ejército! Sabíase que el monstruo era terrible, que tumbaba y comíase un guerrero cual si fuera una nuez, que parte y traga, así como jugando, un mico hambriento; que era astuto y esquivo más que el tigre, de águila su ojo y de titán sus nervios; ¡por eso en toda regla se le hacía todo en honor de tan pomposo asecho! La tropa los zarzales destrozaba, y apretados marchaban los flecheros, parándose otras veces, por si oían los pasos del León por el sendero. Llevados de su instinto, hacia adelante rastros buscaban los mastines diestros, sigilosos también, sin hacer ruido, listas las patas y el hocico abierto… Las antorchas la hierba iluminaban y vistos al fulgor de sus reflejos, los árboles, gigantes parecían que a la turba miraban con desprecio... Cuando un hogar se incendia el humo sale, el bronce vibra si se sitia un pueblo, ¡mas, nada aquí se escucha...nada...nada, ni ruido, ni señal: todo es silencio! El miedo, si al silencio hace su cómplice, es más terrible que el mayor estruendo; ¡por eso los que al monstruo altivos siguen buscan á un tiempo y temen el encuentro! ¡Ya dan con la caverna! Alzan las luces... mil serán los soldados, por lo menos... ¡De repente, llenando el horizonte, aparece terrífico un objeto!
¡Vióse al León! En el instante todo engrandecido apareció... De espanto pareció que la brisa enmudecía, y combatientes y árboles temblaron Mas repuestos los fuertes cazadores, contra la fiera emprenden nuevo asalto, y su cuerpo acribilla una tremenda lluvia feroz de flechas y de dardos. No se irrita el León... cual no se irritan la Osa ni Peleo, si los rayos de horrible tempestad trisulcos cruzan entre sus crines de lucientes astros... Sólo encoge la piel la herida fiera, y al sacudir su cuerpo lacerado, de las agudas puntas se desprende, aunque no se liberta de su estrago… Otro, sin duda, al verse tan herido, se hubiera entre las breñas escapado, no así el León que, cansando á los monteros, como un dios, de su rabia no hace caso. Los perros callan...; pero el monstruo lanza un rugido tan hondo y tan extraño, que en lo alto el trueno se despierta y dice: -"¿Quién por allá en la tierra está tronando?"
Y todo concluyó...La turba escapa, cual el viento disipa á los nublados, como si aquel rugido hubiera sido el eco de algún mito sobrehumano... Todos, jefes, soldados y monteros, de aquel campo de horror huyen temblando, y escuchan, al huir, que el León les dice: -"¡No amedrentan a un libre mil esclavos!"
Las fieras tienen gritos cual los volcanes lavas: estallan, y su cólera se disminuye así. Mas nunca cual los dioses las fieras son tan bravas: ¡en medio de sus ímpetus saben volver en sí! Cuando el Olimpo al mundo regía, se dijeron los Hércules titánicos: -"¡No quede ni un León!"-
En cambio los Leones al reto respondieron sonriendo: -"De los Hércules tengamos compasión..."- Y este León sombrío, tranquilo y majestuoso cual la hora del crepúsculo, no osó venganza hallar: de la tranquila noche bajo el oscuro manto, él quiere ser pacífico, dormir y descansar... Amaneció... La cima trepó del alto monte, y altivo, revistiéndose de regia majestad, así dijo orgulloso mirando el horizonte, con voz que escuchó atónita la próxima ciudad:
- "¡Oh rey! tú te has portado tan vil como cobarde haciendo que un ejército me venga a combatir: en nada ofendí al niño; ¡mas de mi enojo alarde haré, y ante tus súbditos lo mirarás morir!" Alumbro el sol… Altivo el León se aproximaba y sin soltar al príncipe entraba a la ciudad.
Con paso firme y lento la fiera caminaba; y al verla el pueblo tímido- "¡Piedad! -gritó-"¡piedad!"-
Versión de José Antonio SoffiaLibellés : Victor Hugo |
posted by Alfil @ 6:35 AM |
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