Edmond Jabès -Angoisse d'une seule fin- |
samedi, juillet 30, 2005 |
Angoisse d'une seule fin Edmond Jabès (Egipto, 1912 - 1991)
Être encore où l'on n'est plus que cet "encore" à vivre.
Les mots de l'amitié précèdent, toujours, l'amitié comme si celle-ci, pour se manifester, attendait d'être annoncée.
I. Nous ne pouvons avoir une image de nous-mêmes. En avons-nous une d'autrui? Sans doute, mais nous ne savons, jamais, hélas, si elle est la bonne.
Voir, comme on dirait "au revoir" à un étranger, en le regardant partir. Ce qui passe éclaire le passage. Ce qui demeure, l'annule.
Ouvre mon nom. Ouvre le livre.
Le bonheur que l'on éprouve à aimer n'est pas, forcément, lié à un amour heureux. Il est besoin d'amour.
Dans le miroir de ma salle de bain, je vis apparaître un visage qui aurait pu être le mien mais dont il me semblait découvrir, pour la première fois, les traits. Visage d'un autre et, cependant, si familier. Groupant mes souvenirs, je retrouvais, à travers lui, l'homme avec lequel on me confound mais dont je suis seul à savoir que, de tout temps, il fut, pour moi, un étranger. Brusquement, le visage disparut et le miroir, ayant perdu sa raison d'être, ne refléta plus que le pan de mur, lisse et blanc, qui lui faisai face. Page de verre et page de pierre, dialoguant entre elles, solitaires et complices. Le livre n'a point d'origine.
Jeune est le monde au regard de l'éternité et si vieux, au regard de l'instant.
Demande-t-on à une île qui elle est? La mer la flatte et l'étourdit. Un jour, elle l'engloutira.
Fixée à rien. Fixée à l'eau.
"Comment vois-tu la liberté? - demanda le disciple à son maître. "Telles, puet-être, deux ailes téméraires se débattant, au ciel, désespérément contre le vent", répondit le maître. Et il ajouta : "Reste à savoir, cependant, si -- comme tu l'as supposé aussi -- ces ailes sont bien celles d'un frêle oiseau de passage." "Et si elles n'etaient pas les ailes du frêle oiseau? -- reprit le disciple. "Plus juste -- dit, alors, le maître -- serait la comparison. "L'image de la liberté serait le vent."
Chaque vérité œuvre pour sa vérité. Modeste contribution à la Vérité universelle. Notre foi en elle, la soutient.
...toutes ces petites vérités qui viennent miner l'idée que nous pourrions avoir d'une véritée unique. -- Ce sont des fourmis -- pensais-je -- creu- sant, imperturbables, leurs trous.
D'un écrou de mouvement, ne fais pas un écrou de serrage.
"La vérité n'existe pas afin de permettre, sans doute, à nos vérités d'exister," disait-il. Et il ajoutait : "Le soleil une fois couché, dans le vide espace céleste, scintillent, pour nos yeux levés, des myriades d'étoiles. Ô solitude de chacune d'elles."
Nous errons dans la mort, éclairés par nos vérités insistantes.
Immuable et juste est la loi. Moins sûre d'elle- même, la justice.
Impossible à cerner est, peut-être, la Vérité. S'efforcer de l'exprimer, c'est, souvent, faire fausse route. Déloyal, malgré lui, est le premier mot.
La vérité comme voie et non point comme voix? Je crois. Je trace. Lumière. Lumière.
"La vérité est un mot imprononçable," disait-il.
N'entrave pas la libre envolée de l'idée. Tu serais le premier à regretter l'inconséquence de ton geste.
L'âme est sans retenue.
Le moineau ignore le chien mais il prend garde au chat.
L'oeil rivé à la montre, tremblante attente. Chaque déplacement de l'aiguille te fait sursauter, car elle te remet en question. Si capricieux est le futur. Il nous surpendra
toujours. Attendre quoi, sinon la mort? Et nous la redoutons. Attendre, peut-être, l'oubli de la mort.
Dieu n'est pas dans la réponse. Comme le diamant dans ses reflets, Il est dans la miroitante question.
Chaque battement du coeur est ponctuelle réponse de la mort à la question angoissée du coeur et réponse évasive de la vie à l'énigmatique question de la mort.
Le corps est sans projets, sans futur; ceux-ci étant rêves et désires de l'instant qui le modele. Construis ce qui s'abîme. Instruis ce qui s'érige.
Si, hier, je n'étais pas là, porquoi m'inquiéter de savoir si je serai là demain? Et comment, aujourd'hui, attester ma présence parmi vous, si je suis incapable d'en fournir la preuve?
Il disait : "Se méfier des idées qui ont pris plusieurs chemins. Pour les retrouver, on ne sait plus lequel emprunter. "L'idée ne vient pas a nous. Nous allons a elle, comme on retourne à la source qui nous a abreuvés."
Le monde est petit, si petit que, de lui, le monde fait une bouchée.
II. "Croître en riens. "Léger. Léger." disait-il. -- De quels riens s'agit- il? -- lui demanda, un jour, un disciple. Et le sage répondit : "L'esprit vise, chaque fois, plus loin. Ô vertigineuse poussée vers le haut; mais qu'est-ce que le haut, sinon le perpétuel reniement du bas?" Et il ajouta : "En bas, il n'y avait rien et là-haut, il n'y a rien mais entre filtre la lumiere." Toute clarté est dans la pensée.
Le jour tu fondes. La nuit, tu doutes.
Pour sa gloire, la mémoire inventa le temps sans s'apercevoir que le temps était, déjà, mémoire d'éternité.
Le miroir ne reflete, de nous, qu'une seule image, celle qu'il a retenue et qu'il nous révele. L'épreuve par soustractions.
On ne peut lire qu'un mot à la fois.
Ce qui nage a l'âge de l'eau. Ce qui respire a l'âge de l'air. Ce qui s'estompe a l'âge du temps.
Soucieux d'attirer, sur lui, notre attention, quel recours a le corps souffrant, sinon d'exhiber, pour nous, des images de sa souffrance? Mais l'âme? L'âme douloureuse n'a, de soi, aucune image à proposer. Elle est ce qui fait souffrir, mais souffre toute seule.
Apres en avoir été ébloui, le jet d'eau, progressivement, perd jusqu'à la notion de sa convaincante puissance. Il n'est plus, dans sa fierté bafouée, que forces domestiquées, au service de l'homme. Ô tristesse insoupçonnée des longs fleuves impavides.
Crapauds et jardinages: misere du diamant. Ne demande pas, à l'océan, de t'indiquer la route. Pose, plutôt, la question au roseau qui l'a perdue.
Comme on jauge une source, évaluer le débit de sa parole. La réduire pour ne pas la tarir.
Il disait : "Un bruit de vinaigre." Cela m'a paru, au début, curieux puis je me suis, peu à peu, habitué à cette expression sans, toutefois, la comprendre mieux. "Ne m'arrive-t-il pas, quelquefois, de dire : "Un silence d'huile?" Et il ajoutait : "Les images, souvent, ne sont parlantes que pour ceux qui les emploient." L'âme et le corps sont la proie des mêmes maladies.
Le jour est malade d'images. Folie. Folie. La nuit, malade d'oublis.
Il n'y a de vrai silence qu'aux tréfonds inexplorés des signes.
L'hiver a recouvert de neige ma plume. La page blanche est de glace. Les mots si jeunes, déjà condamnés. Ah n'écrire, n'écrire qu'avec de mots ressuscités. N'avoir affaire qu'aux mots de la plus haute saison. Lumineux.
Ne pas voir. Ne pas savoir. Etre. Aller au bout, puis plonger. élu.
"Il ne faut jamais laisser réfléchir les malades -- écrivait ironiquement un sage. "Pour eux, la maladie prime sur tout le reste. Et c'est le contraire de la sagesse. "Un malade n'a-t-il pas, récemment, sombré dans la démence à force de se croire, réellement, malade? "C'est qu'il souffrait, sans le savoir, d'une autre maladie."
On ne meurt que d'une mort : celle à laquelle on ne s'attendait pas. Une flamme ne suffit point à la gloire de l'incendie.
Il s'aperçut, en vieillissant, qu'une question, pour lui, prenait, chaque jour, plus d'importance: comment ne pas vieillir? Mais il se trompait de question, celle qu'il aurait dû se poser est la suivante : comment, de la sagesse, conserver toute la jeunesse?
Le rien est plus audacieux que le tout.
Angustia de un solo final
Ser todavía, allí donde ya no nos queda más que ese «todavía» por vivir.
Las palabras de la amistad preceden siempre a la amistad, como si ésta, para manifestarse, esperara a ser anunciada.
I. No podemos tener una imagen de nosotros mismos. ¿La tenemos de los demás? Probablemente, pero no sabemos nunca, por desgracia, si es la correcta.
Ver de la misma manera que decimos «Hasta más ver» a un extranjero al que miramos marcharse. Lo que pasa alumbra el paso. Lo que permanece, lo anula.
Abre mi nombre. Abre el libro.
La felicidad que sentimos al amar no está forzosamente unida a un amor feliz. Es necesidad de amor.
En el espejo de mi cuarto de baño vi aparecer un rostro que hubiera podido ser el mío, pero cuyos rasgos me parecía descubrir por primera vez. Rostro de otro y, sin embargo, tan familiar. Juntando mis recuerdos, encontraba a través de él al hombre con el que me confunden, pero del que soy el único en saber que, desde siempre, fue para mí un extranjero. De repente el rostro desapareció y el espejo, perdida razón de ser, ya no reflejó sino el trozo de pared, liso y blanco, que se encontraba enfrente. Página de cristal y página de piedra, dialogando entre sí, solitarias y cómplices. El libro no tiene origen.
Joven es el mundo respecto a la eternidad, y muy viejo respecto al instante.
¿Acaso preguntamos a una isla quién es? El mar la adula y la aturde. Un día la engullirá.
Fijada a nada. Fijada al agua.
«¿Cómo ves la libertad? —preguntó el discípulo a su maestro.
«Tal vez como dos alas temerarias que, en el cielo, luchan desesperadamente contra el viento», contestó el maestro. Y añadió: «Sin embargo, habrá que ver si, como tú también habrás supuesto, esas alas son efectivamente las de una frágil ave de paso». «Y si no fueran las alas de la frágil ave? —siguió el discípulo. «Más acertada -dijo entonces el maestro- sería la comparación. «La imagen de la libertad sería el viento».
Cada verdad obra en pos de su verdad. Modesta contribución a la Verdad universal. Nuestra fe en ella la sostiene.
... todas esas pequeñas verdades que vienen a minar h idea que podríamos tener de una verdad única. —Son hormigas —pensaba yo— cavando, imperturbables, sus agujeros.
De una tuerca de movimiento no hagas una tuerca de cierre.
«La verdad no existe para permitir, quizá, que nuestras verdades existan», decía él.
Y añadía: «Una vez que el sol se ha puesto, en el vacío espacio celeste centellean, para nuestros ojos alzados, miríadas de estrellas. Oh soledad de cada una de ellas.»
Vagamos en la muerte, alumbrados por nuestras verdades insistentes.
Inmutable y justa es la ley. Menos segura de sí misma, la justicia.
Imposible de abarcar es, tal vez, la Verdad. Esforzarse por expresarla es, a menudo, equivocar el rumbo. Desleal, a pesar suyo, es la primera palabra.
¿La verdad como vía y no como voz? Yo creo. Yo trazo. Luz. Luz.
«La verdad es una palabra impronunciable», decía él.
No le pongas trabas al libre vuelo de la idea. Serías el primero en lamentar la inconsecuencia de tu gesto.
El alma se desata.
El gorrión ignora al perro pero se cuida del gato.
El ojo clavado en el reloj, temblorosa espera. Cada desplaazamiento de la aguja te sobresalta, porque te vuelve a cuestionar. Así de caprichoso es el futuro. Siempre nos sorprenderá.
¿Esperar qué, sino la muerte? Y la tememos. Esperar, tal vez, el olvido de la muerte.
Dios no está en la respuesta. Como el diamante en sus reflejos, Él está en la pregunta espejeante.
Cada latido del corazón es una respuesta puntual de la muerte a la pregunta angustiada del corazón y una respuesta evasiva de la vida a la enigmática pregunta de la muerte.
El cuerpo no tiene proyectos, ni futuro, pues éstos son sueños y deseos del instante que lo moldea.
Construye lo que se desmorona. Instruye lo que se erige.
Si ayer yo no estaba, ¿por qué preocuparme por saber si estaré mañana? ¿Y cómo acreditar hoy mi presencia entre vosotros si no soy capaz de aportar ninguna prueba de ello?
Él decía: «Hay que desconfiar de las ideas que han tomado varios caminos. Para recuperarlas, ya no se sabe cuál de ellos seguir.
«La idea no viene a nosotros. Nosotros vamos a ella, de la misma manera que volvemos a la fuente que nos dio de beber.»
El mundo es pequeño, tan pequeño que el mundo se lo traga de un bocado.
Versión de Maryse PrivatLibellés : Edmond Jabès |
posted by Alfil @ 3:23 AM |
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