Valery Larbaud -Le don de soi-même- |
mardi, mai 24, 2005 |
Le don de soi-même Valery Larbaud (1881-1957)
Je m'offre à chacun comme sa récompense ; Je vous la donne même avant que vous l'ayez méritée.
Il y a quelque chose en moi, Au fond de moi, au centre de moi, Quelque chose d'infiniment aride Comme le sommet des plus abruptes montagnes ; Quelque chose de comparable au point mort de la rétine,
Et sans écho, Et qui pourtant voit et entend ; Un être ayant une vie propre, et qui, cependant, Vit toute ma vie, et écoute, impassible, Tous les bavardages de ma conscience.
Un être fait de néant, si c'est possible, Insensible à mes souffrances physiques, Qui ne pleure pas quand je pleure, Qui ne rit pas quand je ris, Qui ne rougit pas quand je commets une action honteuse, Et qui ne gémit pas quand mon coeur est blessé ; Qui se tient immobile et ne donne pas de conseils, Mais semble dire éternellement : "Je suis là, indifférent à tout".
C'est peut-être du vide comme est le vide, Mais si grand que le Bien et le Mal ensemble Ne le remplissent pas. La haine y meurt d'asphyxie, Et le plus grand amour n'y pénètre jamais.
Prenez donc tout de moi : le sens de mes poèmes, Non ce qu'on lit, mais ce qui paraît au travers malgré moi : Prenez, prenez, vous n'avez rien. Et où que j'aille, dans l'univers entier, Je rencontre toujours, Hors de moi comme en moi, L'irremplissable Vide, L'inconquérable Rien.
El don de sí mismo
Me ofrezco a cada uno como su recompensa; Se la doy incluso antes de que la hayan merecido.
Hay algo en mí, En el fondo de mí, en el centro de mí, Algo infinitamente árido Como la cima de las altas montañas; Algo comparable al punto muerto de la retina, Y sin eco, Y que sin embargo ve y oye; Un ser con vida propia, el cual, sin embargo, Vive toda mi vida y escucha, impasible, todos los parloteos de mi conciencia.
Un ser hecho de nada, si fuese posible, insensible a mis sufrimientos físicos, que no llora cuando lloro, Que no ríe cuando río, Que no se avergüenza cuando cometo una acción vergonzosa, Y que no gime cuando mi corazón está herido; Que se queda inmóvil y no da consejos. Pero parece decir eternamente: "Estoy aquí, indiferente a todo."
Es quizás vacío como lo es el vacío, Pero tan grande que el Bien y el Mal juntos No lo llenan. El odio muere ahí de asfixia, Y ahí el amor más grande no penetra nunca. Tomad por lo tanto todo de mí: el sentido de estos poemas, No lo que se lee, sino lo que habla a través mío a mi pesar: Tomad, tomad, no tenéis nada. Y adonde vaya, en el universo entero, Encuentro siempre, Fuera de mí como en mí, El irremplazable Vacío, La inconquistable Nada.
Versión de Claire DeloupyLibellés : Valery Larbaud |
posted by Alfil @ 4:33 AM |
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