PLes Chants de Maldoror -Chant Premier V- Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse) (Uruguay, 1846-1870) V J'ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions: la gloire. En voyant ces spectacles, j'ai voulu rire comme les autres; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J'ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté! C'était une erreur! Le sang qui coulait avec abondance des deux blessures empêchait d'ailleurs de distinguer si c'était là vraiment le rire des autres. Mais, après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c'est-à-dire que je ne riais pas. J'ai vu les hommes, à la tête laide et aux yeux terribles enfoncés dans l'orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l'acier fondu, la cruauté du requin, l'insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l'hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel; lasser les moralistes à découvrir leur coeur, et faire retomber sur eux la colère implacable d'en haut. Je les ai vus tous à la fois, tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel, comme celui d'un enfant déjà pervers contre sa mère, probablement excités par quelque esprit de l'enfer, les yeux chargés d'un remords cuisant en même temps que haineux, dans un silence glacial, n'oser émettre les méditations vastes et ingrates que recélait leur sein, tant elles étaient pleines d'injustice et d'horreur, et attrister de compassion le Dieu de miséricorde; tantôt, à chaque moment du jour, depuis le commencement de l'enfance jusqu'à la fin de la vieillesse, en répandant des anathèmes incroyables, qui n'avaient pas le sens commun, contre tout ce qui respire, contre eux-mêmes et contre la Providence, prostituer les femmes et les enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps consacrées à la pudeur. Alors, les mers soulèvent leurs eaux, engloutissent dans leurs abîmes les planches; les ouragans, les tremblements de terre renversent les maisons; la peste, les maladies diverses déciment les familles priantes. Mais, les hommes ne s'en aperçoivent pas. Je les ai vus aussi rougissant, pâlissant de honte pour leur conduite sur cette terre; rarement. Tempêtes, soeurs des ouragans; firmament bleuâtre, dont je n'admets pas la beauté; mer hypocrite, image de mon coeur; terre, au sein mystérieux; habitants des sphères; univers entier; Dieu, qui l'as créé avec magnificence, c'est toi que j'invoque: montre-moi un homme qui soit bon!... Mais, que ta grâce décuple mes forces naturelles; car, au spectacle de ce monstre, je puis mourir d'étonnement: on meurt à moins. Los Cantos de Maldoror -Canto Primero V- V He visto, durante toda mi vida, sin una sola excepción, a los hombres de hombros estrechos realizar numerosos actos estúpidos, embrutecer a sus semejantes, y pervertir a las almas por todos los medios. A los motivos de su acción le llaman: la gloria. A todos a la vez los he visto, unas veces con el puño más robusto dirigido hacia el cielo, como el de un niño ya perverso contra su madre, probablemente excitados por algún espíritu del infierno, con los ojos recargados de un remordimiento punzante y al mismo tiempo lleno de odio, en un silencio glacial, sin atreverse a manifestar las vastas e ingratas meditaciones que encubría su seno –tan llenas estaban de injusticia y horror-, y entristecer así de compasión al Dios misericordioso; otras veces, a cada momento del día, desde el comienzo de la infancia hasta el fin de la vejez, diseminando increíbles anatemas, que no tenían el sentido común, contra todo lo que respira, contra ellos mismos y contra la Providencia, prostituir a las mujeres y a los niños, y deshonrar así las partes del cuerpo consagradas al pudor. Entonces los mares levantan sus aguas, sumergen en sus abismos los maderos; los huracanes y los terremotos derriban las casas; la peste y las diversas enfermedades diezman a las familias rezantes. Pero los hombres no se dan cuenta. También los he visto enrojecer o palidecer de vergüenza por su conducta en esta tierra; raramente. Tempestades hermanas de los huracanes, firmamento azulado cuya belleza no admito, mar hipócrita, imagen de mi corazón, tierra de seno misterioso, habitantes de las esferas, universo eterno, Dios que los has creado con magnificencia, a ti te invoco: ¡muéstrame a un hombre bueno! Pero, que tu gracia decuplique mis fuerzas naturales, pues ante el espectáculo de ese monstruo, yo puedo morir de asombro: se muere por mucho menos. Libellés : Lautreamont |