Les Chants de Maldoror -Chant Deuxième -XV- Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse) (Uruguay, 1846-1870)
XV Il y a des heures dans la vie où l'homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l'oeil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l'espace; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d'un fantôme. Il chancelle et courbe la tête: ce qu'il a entendu, c'est la voix de la conscience. Alors, il s'élance de la maison, avec la vitesse d'un fou, prend la première direction qui s'offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne. Mais, le fantôme jaune ne le perd pas de vue, et le poursuit avec une égale vitesse. Quelquefois, dans une nuit d'orage, pendant que des légions de poulpes ailés, ressemblant de loin à des corbeaux, planent au-dessus des nuages, en se dirigeant d'une rame raide vers les cités des humains, avec la mission de les avertir de changer de conduite, le caillou, à l'oeil sombre voit deux êtres passer à la lueur de l'éclair, l'un derrière l'autre; et, essuyant une furtive larme de compassion, qui coule de sa paupière glacée, il s'écrie: "Certes, il le mérite; et ce n'est que justice." Après avoir dit cela, il se replace dans son attitude farouche, et continue de regarder, avec un tremblement nerveux, la chasse à l'homme, et les grandes lèvres du vagin d'ombre, d'où découlent, sans cesse, comme un fleuve, d'immenses spermatozoïdes ténébreux qui prennent leur essor dans l'éther lugubre, en cachant, avec le vaste déploiement de leurs ailes de chauve-souris, la nature entière, et les légions solitaires de poulpes, devenues mornes à l'aspect de ces fulgurations sourdes et inexprimables. Los Cantos de Maldoror -Canto Segundo -XV- XV Hay horas en la vida en que el hombre de melena piojosa lanza, con los ojos fijos, miradas salvajes a las membranas verdes del espacio, pues le parece oír delante de sí, el irónico huchear de un fantasma. El menea la cabeza y la baja; ha oído la voz de la conciencia. Entonces sale precipitadamente de la casa con la velocidad de un loco, toma la primera dirección que se ofrece a su estupor, y devora las planicies rugosas de la campiña. Pero el fantasma amarillo no lo pierde de vista y lo persigue con similar rapidez. A veces, en noches de tormenta, cuando legiones de pulpos alados, que de lejos parecen cuervos, se ciernen por encima de las nubes, dirigiéndose con firmes bogadas hacia las ciudades de los humanos, con la misión de prevenirles que deben cambiar de conducta, el guijarro de ojo sombrío ve pasar, uno tras otro, dos seres a la claridad de un relámpago, y, enjugando una furtiva lágrima de compasión que se desliza desde su párpado helado, exclama: Por cierto que lo merece; no es más que un acto de justicia. Después de haber dicho esto, recobra su actitud huraña, y sigue observando, con un temblor nervioso, la caza de un hombre, y los grandes labios de la vagina de sombra, de donde se desprenden incesantemente, como un río, inmensos espermatozoides tenebrosos que toman impulso en el éter lúgubre, escondiendo en el vasto despliegue de sus alas de murciélago, la naturaleza entera, y las legiones de pulpos que se han vuelto taciturnos ante el aspecto de esas fulguraciones sordas e inexpresables.
Libellés : Lautreamont |