Devant deux portraits de ma mère Emile Nelligan (Canada, 1879-1941)
Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien, Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille, Le front couleur de lys et le regard qui brille Comme un éblouissant miroir vénitien !
Ma mère que voici n'est plus du tout la même ; Les rides ont creusé le beau marbre frontal ; Elle a perdu l'éclat du temps sentimental Où son hymen chanta comme un rose poème.
Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi, Ce front nimbé de joie et ce front de souci, Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.
Mais, mystère de coeur qui ne peut s'éclairer ! Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées ? Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer ?
Ante dos retratos de mi madre
Mi madre, y cómo la amo en este retrato antiguo, pintado en días gloriosos cuando ella aún era joven, color de lis la frente y la vista que brilla como resplandeciente espejo veneciano.
Pero mi madre ya no es en absoluto la misma: le ahuecan las arrugas el mármol de la frente, el brillo se opacó de aquel tiempo emotivo cuando su himen cantaba como un poema rosa.
Ahora mismo comparo, y eso me hace estar triste, esa frente nimbada y esta frente inquieta: sol de oro y densa bruma en la edad del crepúsculo.
¡Oh misterio del alma que no puede aclararse! ¿Cómo he de sonreírle a esta boca marchita? Y al retrato que ríe ¿cómo puedo llorarle?
Versión de Marco Antonio CamposLibellés : Emile Nelligan |