Jacques Prevert -La pêche à la baleine- |
mardi, novembre 02, 2004 |
La pêche à la baleine Jacques Prévert (1900 - 1977)
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine, Disait le père d'une voix courroucée À son fils Prosper, sous l'armoire allongé, À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine, Tu ne veux pas aller, Et pourquoi donc ? Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête Qui ne m'a rien fait, papa, Va la pêpé, va la pêcher toi-même, Puisque ça te plaît, J'aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère Et le cousin Gaston. Alors dans sa baleinière le père tout seul s'en est allé Sur la mer démontée... Voilà le père sur la mer, Voilà le fils à la maison, Voilà la baleine en colère, Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière, La soupière au bouillon. La mer était mauvaise, La soupe était bonne. Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole : À la pêche à la baleine, je ne suis pas allé, Et pourquoi donc que j'y ai pas été ? Peut-être qu'on l'aurait attrapée, Alors j'aurais pu en manger. Mais voilà la porte qui s'ouvre, et ruisselant d'eau Le père apparaît hors d'haleine, Tenant la baleine sur son dos. Il jette l'animal sur la table, une belle baleine aux yeux bleus, Une bête comme on en voit peu, Et dit d'une voix lamentable : Dépêchez-vous de la dépecer, J'ai faim, j'ai soif, je veux manger. Mais voilà Prosper qui se lève, Regardant son père dans le blanc des yeux, Dans le blanc des yeux bleus de son père, Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus : Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait ? Tant pis, j'abandonne ma part. Puis il jette le couteau par terre, Mais la baleine s'en empare, et se précipitant sur le père Elle le transperce de père en part. Ah, ah, dit le cousin Gaston, On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons. Et voilà Voilà Prosper qui prépare les faire-part, La mère qui prend le deuil de son pauvre mari Et la baleine, la larme à l'oeil contemplant le foyer détruit. Soudain elle s'écrie : Et pourquoi donc j'ai tué ce pauvre imbécile, Maintenant les autres vont me pourchasser en moto-godille Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille. Alors éclatant d'un rire inquiétant, Elle se dirige vers la porte et dit À la veuve en passant : Madame, si quelqu'un vient me demander, Soyez aimable et répondez : La baleine est sortie, Asseyez-vous, Attendez là, Dans une quinzaine d'années, sans doute elle reviendra...
La pesca de la ballena
A pescar ballenas, a pescar ballenas, Decía el padre con voz irritada A Próspero, su hijo, acostado bajo el ropero, A pescar ballenas, a pescar ballenas, Tú no quieres ur, ¿Se puede saber por qué? Y por qué, pregunto yo, habría de pescar Un animal que no me ha hecho nada, papá, Ve a la pesca, ve a pescarla tú, Ya que esto no te gusta, Yo prefiero quedarme en casa con mi pobre mamá Y el primo Gastón. El padre subió solo a la ballenera Y se hizo al embravecido mar... He aquí pues el padre en el mar, El hijo en casa, La ballena enfurecida, Y el primo Gastón que vuelca La sopera con el caldo. El mar estaba malo, La sopa estaba buena. Y he aquí que Próspero En su silla se lamenta: A pescar ballenas yo no fui, Quisiera saber por qué. De haber atrapado una, Hubiera podido comer ballena. Pero he aquí que la puerta se abre, y empapado Aparece el padre sin aliento, Con la ballena al hombro. Arroja sobre la mesa al animal, una hermosa ballena de ojos azules, Un animal hermoso como pocos, Y dice con lastimera voz: Daos prisa en descuartizarla, Tengo hambre, tengo sed, quiero comer. Mas hete aquí que Próspero se levanta, Mirando a su padre en el blanco de los ojos El blanco de los ojos azules de su padre, Azules como los de la ballena de ojos azules: ¿Y por qué habría de despedazar yo A un pobre animal que no me ha hecho ningún daño? Paciencia, renuncio a mi parte. Y arroja el cuchillo al suelo, Pero la ballena se apodera de él, y abalanzándose sobre el padre Lo atraviesa de lado a lado. Ah, ah, dice el primo Gastón, Esto me recuerda la caza, la caza de mariposas. Y allí tenéis Allí tenéis a Próspero preparando las participaciones A su madre enlutada por su pobre marido Y a la ballena que contempla con lágrimas en los ojos El hogar destruido. DE pronto la ballena exclama: Por qué he matado a ese pobre imbécil, Ahora los demás van a perseguirme en motoras Y exterminarán a toda mi pequeña familia. Entonces, con inquietante risa, Se dirige hacia la puerta y al pasar Dice a la viuda: Señora, si alguien pregunta por mí, Sea amable conteste: La ballena ha salido, Tomen asiento, Espérenla, Dentro de quince años, sin duda volverá...Libellés : Jacques Prevert |
posted by Alfil @ 12:59 PM |
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