La grasse matinée Jacques Prévert (1900 - 1977)
Il est terrible Le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain Il est terrible ce bruit Quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim Elle est terrible aussi dans la tête de l'homme La tête de l'homme qui a faim Quand il se regarde à six heures du matin Dans la glace du grand magasin Une tête couleur de poussière Ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde Dans la vitrine de chez Potin Il s'en fout de sa tête l'homme Il n'y pense pas Il songe Il imagine une autre tête Une tête de veau par exemple Avec une sauce de vinaigre Ou une tête de n'importe quoi qui se mange Et il remue doucement la mâchoire Doucement Et il grince des dents doucement Car le monde se paye sa tête Et il ne peut rien contre ce monde Et il compte sur ses doigts un deux trois Un deux trois Cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé Et il a beau se répéter depuis trois jours Ca ne peut pas durer Ca dure Trois jours Trois nuits Sans manger Et derrière ces vitres Ces pâtés ces bouteilles ces conserves Poissons morts protégés par les boîtes Boîtes protégées par les vitres Vitres protégées par les flics Flics protégés par la crainte Que de barricades pour six malheureuses sardines.. Un peu plus loin le bistrot Café-crême et croissants chauds L'homme titube Et dans l'intérieur de sa tête Un brouillard de mots Un brouillard de mots Sardines à manger Oeuf dur café-crème Café arrosé rhum Café-crème Café-crème Café-crime arrosé sang !... Un homme très estimé dans son quartier a été égorgé en plein jour L'assassin le vagabond lui a volé Deux francs Soit un café arrosé Zéro franc soixante-dix Deux tartines beurrées Et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce brui tquand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
Antes de mediodia
Es terrible el leve ruido del huevo duro al ser cascado contra el estaño de un mostrador es terrible ese ruido cuando resuena en la memoria de un hombre que pasa hambre es terrible también la cabeza del hombre la cabeza del hombre que pasa hambre cuando a las seis de la mañana ve en el cristal de una gran tienda una cabeza del color del polvo sin embargo no es su cabeza lo que ve en la vidriera de Potin su cabeza de hombre le importa un bledo ni se acuerda de ella sueña imagina otra cabeza por ejemplo una cabeza de ternera con salsa vinagreta o una cabeza de lo que sea con tal de que sea comestible y mueve suavemente las mandíbulas suavemente y hace rechinar los dientes suavemente pues el mundo ni lo tiene en cuenta y él nada puede contra ese mundo y cuenta con los dedos uno dos tres es decir tres días sin comer y por más que se repita desde hace tres días Esto no puede durar esto dura tres días tres noches sin comer y detrás de esos vidrios esos embutidos esas botellas esas conservas pescados protegidos por latas latas protegidas por vidrios vidrios protegidos por esbirros esbirros protegidos por el miedo cuántas barreras por unas sardinas de mala suerte… Algo más allá el cafetín café-crema y bollos calientes el hombre titubea y en su cabeza una niebla de palabras una niebla de palabras sardinas para comer huevo duro café-crema café con gotas de ron café-crema café-crema ¡café-crimen con gotas de sangre! Un hombre muy estimado en su barrio ha sido degollado en pleno día el asesino el vagabundo le robó dos francos es decir un café con gotas de ron cero franco setenta dos rebanadas de pan con manteca y veinticinco céntimos de propina para el mozo.
Es terrible el leve ruido del huevo duro cascado contra el estaño de un mostrador es terrible ese ruido cuando resuena en la memoria de un hombre que pasa hambre.Libellés : Jacques Prevert |
Aquí os dejo mi versión del poema, hay diferencias significativas y creo que puede enriquecer la lectura por ambas partes. Que lo disfrutéis!
http://stripgarden-poetry.blogspot.com/2010/10/la-grasse-matinee.html