Fleurs et couronnes Jacques Prévert (1900 - 1977)
Homme Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom Tu l'as appelée Pensée. Pensée C'était comme on dit bien observé Bien pensé Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais Tu les as appelées immortelles... C'était bien fait pour elles... Mais le lilas tu l'as appelé lilas Lilas c'était tout à fait ça Lilas... Lilas... Aux marguerites tu as donné un nom de femme Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur C'est pareil.L'essentiel c'était que ce soit joli Que ça fasse plaisir... Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples Et la plus grande la plus belle Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés A côté des vieux chiens mouillés A côte des vieux matelas éventrés A côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés Cette fleur tellement vivante Toute jaune toute brillante Celle que les savants appellent Hélianthe Toi tu l'as appelée soleil ...Soleil... Hélas! hélas! hélas et beaucoup de fois hélas! Qui regarde le soleil hein? Qui regarde le soleil? Personne ne regarde plus le soleil Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus Des hommes intelligents... Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière Ils se promènent en regardant par terre Et ils pensent au ciel Ils pensent... Ils pensent... ils n'arrêtent pas de penser... Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées Les immortelles et les pensées Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets Ils se traînent A grand-peine Dans les marécages du passé Et ils traînent... ils traînent leurs chaînes Et ils traînent les pieds au pas cadencé... Ils avancent à grand-peine Enlisés dans leurs champs-élysées Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire Oui ils chantent A tue-tête Mais tout ce qui est mort dans leur tête Pour rien au monde ils ne voudraient l'enlever Parce que Dans leur tête Pousse la fleur sacrée La sale maigre petite fleur La fleur malade La fleur aigre La fleur toujours fanée La fleur personnelle ......La pensée...
Flores y coronas
Hombre Tú has mirado la más triste la más mustia de todas las flores de la tierra Y como a las otras flores le diste nombre La llamaste Pensamiento. Pensamiento Como suele decirse nada más justo Y bien pensado Y a esas malditas flores que no viven ni se marchitan jamás Las llamaste siempre vivas… Se lo tienen merecido… Pero a las lilas las llamaste lilas Lilas les sienta Lilas…Lilas… A las margaritas les diste nombre de mujer O mejor dicho a las mujeres les diste nombre de flor Es lo mismo Lo esencial es que fuera bonito Que causara placer… En fin les diste nombres simples a todas las flores simples Y a la más grande, a la más bella A esa que brota sobre el estiércol de la miseria A esa que se yergue junto a los viejos resortes enmohecidos Junto a viejos perros vagabundos Junto a viejos colchones despanzurrados Junto a las barracas de madera donde viven los mal alimentados A esa flor llena de vida Toda amarilla toda radiante A esa que los sabios llaman heliante La llamaste Mirasol …Mirasol… ¡Ay! ¡ay! ¡ay! Y muchas veces ¡ay! ¿Quién mira al mirasol? ¿eh? ¿Quién mira al mirasol? Nadie mira al mirasol Los hombres han llegado a ser lo que son Hombres inteligentes… Una flor cancerosa tuberosa y minuciosa en el ojal Pasean mirando el suelo Piensan…piensan…y no cesan de pensar No pueden amar ya las verdaderas flores vivas Aman a las flores marchitas las flores secas Las siemprevivas y los pensamientos Y marchan por el barro de los recuerdos por el barro de los arrepentimientos… Se arrastran A duras penas En las ciénagas del pasado Y arrastran… arrastran a sus cadenas Y arrastran los pies con pasos cadenciosos… Avanzan a duras penas Hundidos en las arenas movedizas de sus campos elíseos Y cantan a grito pelado la canción funeraria Sí cantan A grito pelado Pero todo eso que está muerto en sus cabezas Por nada del mundo querrían perderlo Porque En sus cabezas Crece la flor sagrada La sucia escuálida florecilla La flor enferma La flor acre La flor siempre marchita La flor personal… …El pensamiento…Libellés : Jacques Prevert |