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Arthur Rimbaud -Soleil et chair-
mercredi, septembre 08, 2004
Soleil et chair
Arthur Rimbaud (1854-1891)

I
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte !
- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !
II
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !
- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...
Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...
Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...
IV
Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !
Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Sol y carne

I
El sol, hogar de vida radiante de ternura,
vierte su ardiente amor sobre el mundo extasiado;
y cuando nos tumbamos en el valle, sentimos
que la tierra es doncella rebosante de sangre;
que su inmenso regazo, henchido por un alma,
es de amor, como Dios, de carne, como una hembra
y que encierra, preñada de savias y de luces,
el hervidero inmenso de todos los embriones.

Todo crece, pujante.

¡Oh Venus, oh diosa!
Añoro aquellos días, cuando el mundo era joven,
con sátiros lascivos, con silváticos faunos,
con dioses que mordían, en amor, la enramada,
besando entre ninfeas a la Ninfa dorada.
Añoro aquellos días, cuando la savia cósmica,
el agua de los ríos y la sangre rosada
de los árboles verdes, en las venas de Pan
encerraba tremante un mundo, y que la tierra,
bajo su pie de cabra, lozana palpitaba;
cuando, al besar, suave, su labio la siringa,
tocaba bajo el cielo el gran himno de amor;
cuando en medio del campo, oía, en tomo a él,
la respuesta, a su voz, de la Naturaleza;
cuando el árbol callado que acuna el son del ave,
y la tierra que acuna al hombre, y el Océano
azul, inmensamente, y todo lo creado,
animales y plantas, amaba, amaba en Dios.
Añoro aquellos días de Cibeles, la grande,
que recorría, cuentan, enormemente bella,
en su carro de bronce, ciudades deslumbrantes:
sus senos derramaban, gemelos, por doquier
el arroyo purísimo de la vida infinita;
y el hombre succionaba, dichoso, la ubre santa,
como un niño pequeño que juega en su regazo.
––Y el Hombre, por ser fuerte, era casto y afable.

Por desgracia, ahora dice: ya sé todas las cosas;
y va, avanzando a ciegas, sin oír, sin mirar.
––¡Así pues, ya no hay dioses! ¡Ya sólo el Hombre es Rey,
sólo él Dios! ¡Pero Amor es la única Fe ... !
¡Si el hombre aún bebiera de tus ubres, Cibeles,
gran madre de los dioses y de todos los hombres,
si no hubiera olvidado la inmortal Astarté,
que antaño, al emerger en el fulgor inmenso
del mar, cáliz de carne que la ola perfuma,
mostró su ombligo rosa, donde la espuma nieva,
e hizo cantar, Diosa de ojos negros triunfales,
el roncal en el bosque y en el pecho el amor!

II
¡Creo en ti, creo en ti! Divinidad materna,
¡Afrodita marina! ––Pues, el camino es áspero
desde que el otro Dios nos unció a su cruz;
¡Came, Flor, Mármol, Venus, es en ti en quien creo!
––El Hombre es triste y feo, triste bajo los cielos;
y ahora anda vestido, ahora que no es casto,
pues ensució su busto orgulloso de dios
y se ha ido encogiendo, cual ídolo en la hoguera,
al dar su cuerpo olímpico a sucias servidumbres;
incluso, tras la muerte, quiere vivir, burlando
con pálido esqueleto su belleza primera.
––Y el ídolo al que diste tanta virginidad,
alzando a lo divino nuestra arcilla, la Hembra,
con vistas a que el Hombre alumbrara su alma,
subiendo lentamente, en un amor inmenso,
de la cárcel terrestre al día, en su belleza,
la Hembra, ¡ya ni sabe ser simple cortesana!.
––¡Qué broma tan pesada! ¡y el mundo ríe estúpido
al oírte nombrar, dulce, sacra y gran Venus!


III
¡Si el tiempo retomara, el tiempo que ya fue...!
––¡El Hombre está acabado, se acabó su teatro!
Y un día, a plena luz, harto de romper ídolos,
libre renacerá, libre de tantos dioses,
buceando en los cielos, pues pertenece al cielo.
¡El Ideal, eterno pensamiento invencible,
ese dios que se agita en la camal arcilla,
subirá, subirá, y arderá en su cabeza!
Y, cuando lo sorprendas mirando el horizonte,
libre de viejos yugos que desprecia sin miedos,
vendrás a concederle la santa Redención
––Espléndida, radiante, del seno de los mares
nacerás, derramando por el vasto Universo
el Amor infinito en su infinita risa:
el Mundo vibrará como una lira inmensa
en el temblor sin límites de un beso repetido.

––El Mundo está sediento de Amor: aplácalo.


[¡Libre, el hombre levanta, altiva, su cabeza!
¡Y, raudo, el rayo prístino de la primer belleza
da vida al dios que late en el altar de carne!
Dichoso en su presente, pálido en su recuerdo,
el hombre quiere ahondar, ––y saber. ¡La Razón,
tanto tiempo oprimida en sus maquinaciones,
salta de su cerebro! ––¡Ella sabrá el Porqué!...
¡Que brinque libre y ágil: y el Hombre tendrá Fe!
¿Por qué es mudo el azur e insondable el espacio?
¿Por qué los astros de oro que hierven como arena?
Si subiéramos más y más, allá arriba ¿qué habría?
¿Existe algún Pastor de este inmenso ganado
de mundos trashumantes por el horrible espacio?
Y estos mundos que el éter abraza inmensamente
¿vibran, acaso, al son de una llamada eterna?
––¿El Hombre puede ver? ¿y decir: creo, creo?
¿La voz del pensamiento va más allá del sueño?
Si en el nacer es raudo, si su vida es tan corta
¿de dónde viene el Hombre? ¿se abisma en el Océano
profundo de los gérmenes, los Fetos, los Embriones,
en el Crisol sin fondo del que la Madre cósmica
lo resucitará, criatura que vive,
para amar en la rosa y crecer en los trigos?...

¡No podemos saberlo! ––¡Estamos agobiados
por un oscuro manto de ignorancia y quimeras!
¡Farsas de hombre, caídos de las vulvas maternas,
nuestra razón, tan pálida, nos vela el infinito!
¡Si queremos mirar, la Duda nos castiga!
La duda, triste pájaro, nos hiere con sus alas!...
––¡Y en una huida eterna huyen los horizontes!

¡Ancho se entreabre el cielo! ¡Los misterios han muerto
ante el Hombre, de pie, que se cruza de brazos,
fuerte, en el esplendor de la naturaleza!
Si canta... el bosque canta, y el río rumorea
un cántico radiante que brota hacia la luz!...
––¡Llegó la Redención! ¡Amor, amor, Amor!...].
IV
¡Oh esplendor de la came! ¡Ideal esplendor!
¡Renadío de amores, amanecer triunfal,
cuando, a sus pies tendidos los Dioses y los Héroes,
Calipigia la blanca y el Eros diminuto
rozarán, coronados por la nieve de rosas,
la mujer y la flor que adorna su pisada!
––Grandiosa Ariadna, que derramas tu llanto
por las playas, al ver huir en lejanía,
blanca en la luz solar, la vela de Teseo...
oh dulce virgen niña que una noche ha tronchado,
¡calla!... En su carro de oro orlado de uvas negras,
por los campos de Frigia, Lisios pasa; lo llevan,
panteras de piel roja y tigres lujuriosos
y dora,. al recorrer ríos de aguas azules,
el verdor de los musgos en la orilla enfoscada.
Zeus, Toro, en su nuca, acuna como a niña
Europa desnuda que enlaza con su blanco
brazo el cuello nervioso del Dios estremecido
que la mira, despacio, de soslayo, en el agua.
Y dejando que, pálida, su cara en flor resbale
por la frente de Zeus, muere y cierra los ojos
en el beso del Dios; y el agua que murmulla
con su espuma dorada florece sus cabellos.
––Entre la adelfa rosa y el loto charlatán
se desliza, en amor, el gran Cisne que sueña
y su ala blanca abraza la blancura de Leda;
Y, mientras, Cipris pasa, enormemente hermosa,
cimbreando la curva rotunda de su grupa,
desplegando orgullosa el oro de sus pechos
y su vientre nevoso que un negro musgo orla;
––Heracles, Domador, que en su gloria se cubre
el cuerpo fuerte y vasto con la piel de un león,
a lo lejos avanza, con frente dulce y fiera.

Rozada por la luna de estío, levemente,
de pie, desnuda, sueña en su palor dorado
que tiñe la ola densa de un pelo azul y largo,
en el calvero oscuro donde el musgo se estrella,
la Driade que mira el cielo silencioso...
––Y la blanca Selene deja flotar su velo,
temerosa, a los pies del hermoso Endimión,
y su beso resbala por un pálido rayo...
––La Fuente llora, sola, con prolongado éxtasis...
Es la ninfa que sueña, apoyada en el ánfora,
en el bello doncel blanco, en sus aguas preso.
––Una brisa de amor transita por la noche,
y en el bosque sagrado, en sus horribles frondas,
de pie, majestuosos, los Mármoles oscuros,
los Dioses coronados por nidos de Pinzón,
escuchan a los Hombres y a todo el Universo.

Libellés :

posted by Alfil @ 8:42 AM  
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