Arthur Rimbaud -Les mains de Jeanne-Marie- |
mercredi, septembre 08, 2004 |
Les mains de Jeanne-Marie Arthur Rimbaud (1854-1891)
Jeanne-Marie a des mains fortes, Mains sombres que l'été tanna, Mains pâles comme des mains mortes. - Sont-ce des mains de Juana ?
Ont-elles pris les crèmes brunes Sur les mares des voluptés ? Ont-elles trempé dans des lunes Aux étangs de sérénités ?
Ont-elles bu des cieux barbares, Calmes sur les genoux charmants ? Ont-elles roulé des cigares Ou trafiqué des diamants ?
Sur les pieds ardents des Madones Ont-elles fané des fleurs d'or ? C'est le sang noir des belladones Qui dans leur paume éclate et dort.
Mains chasseresses des diptères Dont bombinent les bleuisons Aurorales, vers les nectaires ? Mains décanteuses de poisons ?
Oh ! quel Rêve les a saisies Dans les pandiculations ? Un rêve inouï des Asies, Des Khenghavars ou des Sions ?
- Ces mains n'ont pas vendu d'oranges, Ni bruni sur les pieds des dieux : Ces mains n'ont pas lavé les langes Des lourds petits enfants sans yeux.
Ce ne sont pas mains de cousine Ni d'ouvrières aux gros fronts Que brûle, aux bois puant l'usine, Un soleil ivre de goudrons.
Ce sont des ployeuses d'échines, Des mains qui ne font jamais mal, Plus fatales que des machines, Plus fortes que tout un cheval !
Remuant comme des fournaises, Et secouant tous ses frissons, Leur chair chante des Marseillaises Et jamais les Eleisons !
Ça serrerait vos cous, ô femmes Mauvaises, ça broierait vos mains, Femmes nobles, vos mains infâmes Pleines de blancs et de carmins.
L'éclat de ces mains amoureuses Tourne le crâne des brebis ! Dans leurs phalanges savoureuses Le grand soleil met un rubis !
Une tache de populace Les brunit comme un sein d'hier ; Le dos de ces Mains est la place Qu'en baisa tout Révolté fier !
Elles ont pâli, merveilleuses, Au grand soleil d'amour chargé, Sur le bronze des mitrailleuses A travers Paris insurgé !
Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, A vos poings, Mains où tremblent nosL èvres jamais désenivrées, Crie une chaîne aux clairs anneaux !
Et c'est un soubresaut étrange Dans nos êtres, quand, quelquefois, On veut vous déhâler, Mains d'ange, En vous faisant saigner les doigts !
Las manos de Jeanne-Marie
Jeanne-Marie tiene las manos fuertes, manos oscuras que ha curtido el sol, pálidas manos, como manos muertas. ––¿De Juana estas manos son?.
¿Han absorbido morenas pomadas por el mar de la voluptuosidad? ¿han ido a templarse en la luz de luna que llena el estanque de paz?
¿No habrán ido a beber bárbaros cielos, serenas sobre rodillas galantes? o ¿no habrán enrollado enormes puros o traficado con diamantes?
¿No habrán marchitado pétalos de oro a los pies ardientes de las Madonas?. Pero, en su palma brota y duerme, negra, la sangre de la belladona.
¿Manos cazadoras de negros dípteros que se van, libando los azulones de las mañanas hacia los nectarios, y que mezclan negras pociones?
¿Qué Sueño loco las habrá llevado en insólitas pendiculaciones? Un extravagante sueño de Asias de Kengavares y Siones.
Estas manos no han vendido naranjas ni se han bronceado al pie de los dioses: estas manos no han lavado pañales de niños ciegos y tripones.
No son manos de prima, ni de obreras de frentes abombadas y que abrasa, un sol ebrio de oscuros alquitranes, por bosques que apestan a fábrica.
Son manos que desloman espinazos, pero que nunca han hecho el menor daño; fatales, con fatalidad de máquinas, pero fuertes como un caballo.
Se agitan como si fueran hogueras, y al sacudirse sus fríos temblores sus carnes van cantando Marsellesas: ¡nunca canta Kirieleisones!
Os pueden romper el cuello, mujeres indignas, y triturar vuestras manos, nobles mujeres, sucias de carmín y de polvos ––manos de fango.
¡Vuelve tontos de amor a los borregos el brillo de estas manos que enamoran! Y el sol, en su esplendor, siembra un rubí por su falange apetitosa.
Lunares y manchas de muchedumbre las broncean, como pechos de antaño: ¡El dorso de estas Manos es la plaza que todo Rebelde ha besado!
¡Se han vuelto pálidas, con encanto, a pleno sol, cuando de amor rebosa, por el París en rebeldía, junto al bronce de ametralladoras,
¡Pero, a veces, oh sacrosantas manos en tus puños, Manos en las que tiemblan nuestros labios nunca desembriagados, grita el fulgor de una cadena!
Y en nuestro ser un sobresalto extraño irrumpe, cuando quieren, Manos de ángel, arrancaros la carga que os arrastra, hasta que brota vuestra sangre.Libellés : Arthur Rimbaud |
posted by Alfil @ 3:41 PM |
|
|