Jules Supervielle -Prière à l'inconnu- |
lundi, août 02, 2004 |
Prière à l'inconnu Jules Supervielle (1884-1960)
Voilà que je me surprends à t'adresser la parole, Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes. Je regarde les autels, la voûte de ta maison, Comme qui dit simplement: voilà du bois, de la pierre, Voilà des colonnes romanes. Il manque le nez à ce saint. Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine. Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe, Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête. Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose. Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose. Cette autre chose, c'est encore moi. C'est peut-être mon vrai moi-même. C'est là que je me réfugie. C'est peut-être là que tu es. Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants. Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter. Je n'en connais pas bien l'usage. Je le tourne dans tous les sens, Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile. Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même. J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie, Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse, Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe. Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe. Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes, Je ne sais si tu as envie de les écouter. Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici. Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons. Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible. Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années Une grande vitesse acquise Une durable mélancolie Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète. Ecoute-moi ! Cela presse. Ils vont tous se décourager Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer. De tous côtés, l'on prépare de bizarres distributeurs de sang de plaintes et de larmes L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils. Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ? T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation, Ne sachant où donner de la tête Laissant mourir sa clientèle ? Ecoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres. L'âme se plait dans notre corps, Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe. Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie. Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort. Nous n'avons pas du tout le coeur aux batailles, aux généraux. Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles, Une odeur de lait frais se mélant à l'odeur de l'herbe grasse. Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté. Viens te délasser parmi nous. La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs, Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité. Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise. Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux. Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes. Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence Avec la franchise de la terre et des diverses saisons Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons Je ne suis pas sans excuses Veuille accepter mes pauvres ruses Tant de choses se préparent sournoisement contre nous Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu Et d'être comme le taureau Qui ne comprend pas ce qui se passe Le mène-t-on à l'abattoir Il ne sait où il va comme ça Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang A vouloir tous s'occuper de lui ?
Plegaria a lo desconocido
He aquí que me sorprendo hablándote, Dios mío, yo, que no sé todavía si existes ni comprendo la lengua de tus iglesias susurrantes. Miro los altares, la bóveda de tu casa como quien dice simplemente: “Esto es madera, esto es piedra, aquéllas son columnas románticas, le falta la nariz a ese santo, y adentro como afuera hay un mismo desamparo entre los hombres. ”Bajo los ojos sin poder arrodillarme durante la misa como si dejara pasar una tormenta sobre mi cabeza y no puedo evitar el pensar siempre en otra cosa. Me pasaré la vida pensando en otra cosa, y esa otra cosa soy yo, tal vez mi yo verdadero: es allí donde me refugio, y tal vez sea allí donde tú estás, creo que nunca podré vivir sino en esas lejanías que me seducen. El momento presente es un regalo que no he sabido aprovechar, no sé bien cómo se usa, lo volteo para un lado y para el otro y no logro que funciones su difícil mecanismo. No creo en ti, Dios mío, pero quisiera hablarte a pesar de todo; he hablado con las estrellas aunque las sepa sin vida, con los más humildes de los animales aunque los sepa sin respuesta, con los árboles que, sin el viento, serían mudos como la tumba. Y me he hablado a mí mismo aunque no estoy seguro del todo de que existo. No se si oyes nuestras plegarias, las plegarias de los hombres, no sé si tienes ganas de escucharlas, no sé si tienes como nosotros un corazón en alerta continua y oídos siempre abiertos a las noticias más diversas. No sé si te gusta mirar por aquí. Pero querría recordarte a tu planeta la Tierra, con sus flores, sus guijarros, sus jardines y sus casas. Con todos sus seres; con nosotros que sufrimos y lo sabemos. Querría dirigirte cuanto antes estas humildes palabras humanas porque cada cual debe tentar ahora lo imposible aun si no eres más que un soplo de hace millares de años, una gran velocidad adquirida, una melancolía durable que hace aún girar a las esferas en su melodía. Querría, Dios sin rostro y tal vez sin esperanza, que prestaras toda tu atención, entre tantos cielos vagabunda, a los hombres que nunca pueden darse un respiro en el planeta. Escúchame, corre prisa: todos van a desalentarse y ya no podremos distinguir a los jóvenes de los viejos. Cada mañana se preguntan si la matanza va a comenzar. Por todas partes se preparan extraños distribuidores de sangre, de quejidos y de lágrimas. Se preguntan si los trigos no esconden ya fusiles. ¿Se acabó el tiempo en que podías ocuparte de los hombres? ¿Te llaman de otros mundo, médico de consulta que sin saber por dónde empezar deja morir a su clientela? Escúchame, no soy más que un hombre entre tantos otros: el alma está a gusto en el cuerpo, el alma no quiere escapar en un estallido de bomba; el alma es para nosotros una caricia, un secreto halago. Déjanos respirar sin pensar en nuevos venenos, déjanos mirar a nuestros niños sin pensar todo el tiempo en la muerte. No estamos para batallas, para generales. Déjanos nuestro ir y venir de rebaño entre cencerros y olor a leche que se mezcla al olor de la hierba espesa. Ah, si existes, mi Dios, mira de nuestro lado, ven y descansa un rato entre nosotros, la Tierra es hermosa con sus árboles, sus ríos y sus estanques, tan hermosa que uno diría que la añoras un poco. No te vayas a hacerle sordo una vez más ni a sentirte conmigo, Dios, si te tuteo, si te hablo con tan abrupta simplicidad: creería menos que en cualquier otro en un Dios que aterrorizara; y tú, más que por el rayo, sabes expresarte por las briznas de hierba y los ojos del agua y los juegos de los niños, lo cual no impide que haya océanos y cadenas de montañas. No puedes ofenderte porque te digo lo que pienso, porque reflexiono como puedo sobre el hombre y su existencia con la franqueza de la tierra y de las diversas estaciones y tal vez con tu franqueza cuyas lecciones ignoro. No me faltan disculpas, consiente en aceptar mis pobres sutilezas, tantas cosas se preparan solapadamente contra nosotros que, por mucho que hagamos, tememos siempre que nos sorprendan desprevenidos, tenemos ser como el toro que no comprende qué sucede: lo llevan al matadero, no sabe adónde va, y justo antes de recibir el golpe mortal sobre la frente se repite que tiene hambre, y pastaría de buena gana, ¿pero qué pasa con esa gente de delantales llenos de sangre para que así se empeñen todos en atenderlo esta mañana?Libellés : Jules Supervielle |
posted by Alfil @ 5:38 AM |
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