Ne vous mariez pas les filles Boris Vian (1920-1959) Avez-vous vu un homme à poil Sortir soudain d'la salle de bains Dégoulinant par tous les poils Et la moustache pleine de chagrin? Avez-vous un homme bien laid En train d'manger des spaghetti Fourchette au poing, l'air abruti D'la sauce tomate sur son gilet Quand ils sont beaux, ils sont idiots Quand ils sont vieux, ils sont affreux Quand ils sont grands, ils sont feignants Quand ils sont p'tits, ils sont méchants Avez-vous un homme trop gros Extraire ses jambes de son dodo S'masser l'ventre et s'gratter les tifs En r'gardant ses pieds l'air pensif? Ne vous mariez pas, les filles, ne vous mariez pas Faites plutôt du cinéma Restez pucell' chez vot' papa Dev'nez serveuse chez un bougnat El'vez des singes, él'vez des chats Levez la patte à l'opéra Vendez des boît' de chocolat Prenez le voile ou l'prenez pas Dansez à poil pour les gagas Soyez radeuse av'nue du Bois Mais ne vous mariez pas, les filles Ne vous mariez pas Avez-vous vu un homme gêné Rentrer trop tard pour le dîner Du rouge à lèvres sur son col Du flageolant sur la guibole Avez-vous vu au cabaret Un monsieur qui n'est plus très frais Se frotter avec insistance Sur un' petite fleur innocence Quand ils sont bêtes, ils vous embêtent Quand ils sont forts, ils font du sports Quand ils sont riches, ils gard'nt l'artiche Quand ils sont durs, ils vous torturent Avez-vous vu à votre bras Un maigrichon à fac' de rat Friser ses trois poils de moustache Et se redresser, l'air bravache. Ne vous mariez, les filles, ne vous mariez pas Mettez vos robes de gala Allez danser à l'Olympia Changez d'amat quat' fois par mois Prenez la braise et gardez-la Cachez la fraîche sous vos matelas À cinquante ans, ça servira À vous payer de beaux p'tits gars Ah, la belle vie que ça sera Si vous n'vous mariez pas, les filles Si vous n'vous mariez pas. ¿Han visto ustedes a un hombre desnudo saliendo de pronto de la bañera, chorreando agua por sus muslos peludos y con el bigote lleno de tristeza? ¿Han visto ustedes a un tipo bien feo comer tallarines, tenedor en mano, mientras, como un retardado, se tira la salsa sobre el chaleco? ¿Han visto ustedes a un gordo estirar sus piernas lechosas, llenas de rollos, mirarse los pies como una marmota, mientras se frota la barriga y se rasca las...? No se casen, chicas, no se casen, mejor en la televisión trabajen. Permanezcan vírgenes en casa de papá. Háganse sirvientas en lo de un general. Eduquen monos, eduquen loros. Levanten la pata en el Colón. Vendan bombones, tomen los hábitos O no los tomen. Hagan strip-tease para los gagás. Levanten puntos en el hotel Alvear. Pero no se casen, chicas, no se casen. ¿Han visto ustedes a un tipo mufado llegando muy tarde a cenar von manchas de rouge en el saco y tambaleándose al caminar? ¿Han visto ustedes en un cabaret a un señor que parece muy bien frotarse insistentemente sobre una chica inocente? ¿Han visto ustedes a un tipo esmirriado llevar a una mujer al restorán? Cómo se retuerce los tres pelos del bigote Y, para hacerse el importante, a los mozos tiene al trote. No se casen, chicas, no se casen. Vistanse de gala, al River acudan y bailen. Cuatro veces por mes cambien de amante. Agarren guita, mucha guita y guarden. Escóndanla bajo el colchón; a los cincuenta años tendrán un montón para pagarse lindos muchachos con nada en la cabeza y todo en los brazos. ¡Ah!, que buena vida será esa si no se casan, chicas, si no se casan. Versión de Alberto Favero Libellés : Boris Vian |