Alfred de Vigny -Moïse- |
mardi, mai 11, 2004 |
Moïse Alfred de Vigny (1797-1863)
Le soleil prolongeait sur la cime des tentes Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes, Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs, Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts. La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne. Du stérile Nébo gravissant la montagne, Moïse, homme de Dieu, s'arrête, et, sans orgueil, Sur le vaste horizon promène un long coup d'œil. Il voit d'abord Phasga , que des figuiers entourent ; Puis, au-delà des monts que ses regards parcourent, S'étend tout Galaad, Éphraïm, Manassé, Dont le pays fertile à sa droite est placé ; Vers le midi, Juda, grand et stérile, étale Ses sables où s'endort la mer occidentale ; Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli, Couronné d'oliviers, se montre Nephtali ; Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes Jéricho s'aperçoit : c'est la ville des palmes ; Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor, Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Ségor. Il voit tout Chanaan, et la terre promise, Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise. Il voit ; sur les Hébreux étend sa grande main, Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.
Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte, Pressés au large pied de la montagne sainte, Les enfants d'Israël s'agitaient au vallon Comme les blés épais, qu'agite l'aquilon. Dès l'heure où la rosée humecte l'or des sables Et balance sa perle au sommet des érables, Prophète centenaire, environné d'honneur, Moïse était parti pour trouver le Seigneur. On le suivait des yeux aux flammes de sa tête, Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte, Lorsque son front perça le nuage de Dieu Qui couronnait d'éclairs la cime du haut lieu L'encens brûla partout sur les autels de pierre. Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière, A l'ombre du parfum par le soleil doré, Chantèrent d'une voix le cantique sacré ; Et les fils de Lévi, s'élevant de la foule, Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule, Du peuple avec la harpe accompagnant les voix, Dirigeaient vers le ciel l'hymne du Roi des Rois.
Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place, Dans le nuage obscur lui parlait face à face.
Il disait au Seigneur : " Ne finirai-je pas ? Où voulez-vous encor que je porte mes pas ? Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ? Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre. Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ? J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu. Voilà que son pied touche à la terre promise. De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise, Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ; Je lui lègue mon livre et la verge d'airain.
Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances, Ne pas me laisser homme avec mes ignorances, Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ? Hélas ! vous m'avez fait sage parmi les sages ! Mon doigt du peuple errant a guidé les passages. J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ; L'avenir à genoux adorera mes lois ; Des tombes des humains j'ouvre la plus antique, La mort trouve à ma voix une voix prophétique ; Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations, Ma main fait et défait les générations. Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!
Hélas ! je sais aussi tous les secrets des Cieux ; Et vous m'avez prêté la force de vos yeux. Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ; Ma bouche par leur nom a compté les étoiles, Et dès qu'au firmament mon geste l'appela, Chacune s'est hâtée en disant : " Me voilà ". J'impose mes deux mains sur le front des nuages Pour tarir dans leurs flancs la source des orages ; J'engloutis les cités sous les sables mouvants ; Je renverse les monts sous les ailes des vents ; Mon pied infatigable est plus fort que l'espace ; Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe, Et la voix de la mer se tait devant ma Voix. Lorsque mon peuple souffre, ou qu'il lui faut des lois, J'élève mes regards, votre esprit me visite ; La terre alors chancelle et le soleil hésite, Vos anges sont jaloux et m'admirent entre eux. Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ; Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.
Sitôt que votre souffle a rempli le berger, Les hommes se sont dit : " Il nous est étranger " Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme, Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme. J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir ; Les vierges se voilaient et craignaient de mourir. M'enveloppant alors de la colonne noire, J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire, Et j'ai dit dans mon cœur : " Que vouloir à présent ? " Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant, Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche, L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche ; Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous, Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux 0 Seigneur ! j'ai vécu puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre! "
Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux, Priait sans regarder le mont du Dieux jaloux ; Car, s'il levait les yeux, les flancs noirs du nuage Roulaient et redoublaient les foudres de l'orage, Et le feu des éclairs, aveuglant les regards, Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts. Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse. Il fut pleuré. - Marchant vers la terre promise, Josué s'avançait pensif et pâlissant, Car il était déjà l'élu du Tout-Puissant.
Moisés
El sol iba alargando sobre todas las tiendas esos rayos oblicuos, esas llamas que ciegan, esas huellas doradas que suspende en el aire cuando muere en un lecho de arenoso desierto. Era todo el paisaje entre púrpura y oro. Ascendiendo al estéril monte Nebo, se para Moisés, hombre de Dios, y allí, ajeno al orgullo, en el vasto horizonte posa larga mirada. Ve no lejos a Pasga, que rodean higueras; más allá de los montes que recorre su vista, está todo Galad, Efraím, Manasés, cuyas fértiles tierras quedan a su derecha; hacia el sur hay Judá, país vasto y estéril, con arenas en donde duerme el mar de poniente; en un valle, difuso por la tarde, más lejos, coronado de olivos Neftalí se divisa; en llanuras de flores sosegadas y espléndidas, Jericó puede verse, la ciudad de las palmas; y alargando sus bosques, desde el llano Fogor el frondoso lentisco a Segor llega incluso. Ve Canaán y la tierra prometida que sabe nunca va a conservar sus despojos mortales. Mira, extiende su mano sobre todo su pueblo y hacia lo alto del monte reanuda el camino.
Y en los vastos espacios de los campos de Moab hasta el pie impresionante de la santa montaña, se agitaban los hijos de Israel en el valle como espesos trigales que sacuden los vientos. Cuando cae el rocío en el oro de arena y se mece su perla en la copa del arce, el glorioso profeta centenario, Moisés, les dejó en la llanura para ver al Señor. Con los ojos siguieron su cabeza entre llamas, y al llegar a la cumbre del altísimo monte, al perderse su frente en la nube de Dios, que la cima sagrada coronaba con rayos, se quemó mucho incienso en altares de piedra. Seiscientos mil hebreos, adorando en el polvo, a la sombra aromada que el sol hace de oro entonaron unánimes su sagrado cantar; los levitas, alzándose por encima de todos, como un gran cipresal sobre arenas tendidas, con sus arpas del pueblo dirigían las voces, elevando hacia el cielo himnos al Rey de reyes. Y ante Dios, puesto en pie, ya Moisés en la nube que era toda tiniebla, cara a cara le hablaba. Y decía al Señor: «¿Nunca voy a acabar? ¿Hacia dónde queréis que enderece mis pasos? Así, pues, ¿seré siempre soledad y poder? ¡Oh, dejadme que duerma ese sueño de tierra! ¿Cuál ha sido mi culpa para que me eligierais? Yo llevé a vuestro pueblo hasta donde quisisteis. Y ya pisan la tierra prometida por Vos. Hora es ya de confiar tal empresa a otro guía, que otro le ponga freno al corcel de Israel; yo le lego mi libro" y el cayado de bronce.
«¿Por qué habéis de agotar mi esperanza, por qué no dejarme viviendo con las cosas que ignoro, ya que del monte Horeb hasta el Nebo soberbio no he podido encontrar el lugar de mi tumba? ¡Ay, me habéis hecho sabio entre todos los sabios! Yo he guiado el camino de estas tribus errantes. Por mi mano ha llovido fuego sobre los reyes; de rodillas mis leyes va a adorar el futuro; de las tumbas humanas abro la más antigua y la muerte a mi voz tiene voces proféticas, soy muy grande, mis plantas pisotean naciones, y linajes enteros puedo hacer o matar. ¡Ay de mí, soy, Señor, soledad y poder! ¡Oh, dejadme que duerma ese sueño de tierra! ¡Ay, conozco también los secretos del cielo y Vos mismo me disteis para ver vuestros ojos! A la noche le ordeno que desgarre sus velos; por su nombre mi boca ha contado los astros, me bastó un ademán de llamada, y cada uno acudió presuroso declarando: Aquí estoy. Con mis manos la frente de las nubes apalpo y en su entraña se agotan fuentes de tempestad; y sepulto ciudades bajo arenas movientes y derribo los montes bajo el ala del viento; incansable, mi pie puede más que el espacio; el caudal de los ríos ante mí es cauce seco` y la voz de los mares enmudece a mi voz. Cuando sufre mi pueblo o requiere unas leyes, yo levanto la vista, vuestro espíritu acude; tiembla entonces la tierra y hasta el sol se estremece, y envidiosos los ángeles en el cielo me admiran. Y no obstante, Señor, no me siento dichoso; envejezco y me das soledad y poder. ¡Oh, dejadme que duerma ese sueño de tierra!
Sacudió vuestro soplo al pastor y en seguida se dijeron los hombres: «Ya no le conocemos»; y humillaban los ojos a mis ojos de llama, porque en ellos veían algo más que mi alma. Vi apagarse el amor, la amistad extinguirse; Se velaban las vírgenes y temían morir. Envolviéndome entonces con la negra columna, yo he guiado a este pueblo, triste y solo en mi gloria, y me he dicho a mí mismo: ¿Qué deseas ahora? No es posible dormir sobre un pecho amoroso porque sé que mi frente pesará demasiado, deja miedo mi mano en la mano que toca, en mi voz hay tormentas y en mis labios el rayo; nadie así puede amarme, ante mí todos tiemblan, y cuando abro los brazos ante mí se arrodillan. ¡Oh, Señor, heme aquí soledad y poder, oh, dejadme dormir ese sueño de tierra!
Esperaban las tribus, y temiendo su cólera todo el pueblo rezaba y sus ojos no osaban contemplar la montaña de aquel Dios tan celoso; si miraban los flancos de la nube negruzca, nuevos rayos surgían de las altas tormentas, y cegaba la luz de terribles relámpagos, humillando las frentes que tocaban la tierra. Pronto viose de nuevo sin Moisés la alta cima. Fue llorando. La tierra prometida quedaba al final del camino que aún tenían que andar. Pensativo y muy pálido avanzaba Josué, que era el nuevo elegido del que todo lo puede.Libellés : Alfred de Vigny |
posted by Alfil @ 6:41 AM |
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