Alfred de Vigny -La maison du berger -I- |
mardi, mai 11, 2004 |
La maison du berger (I) Alfred de Vigny (1797-1863)
A Eva
Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie, Se traîne et se débat comme un aigle blessé, Portant comme le mien, sur son aile asservie, Tout un monde fatal, écrasant et glacé ; S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle, S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle, Eclairer pour lui seul l'horizon effacé ; Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme, Lasse de son boulet et de son pain amer, Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame, Penche sa tête pâle et pleure sur la mer, Et, cherchant dans les flots une route inconnue, Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue La lettre sociale écrite avec le fer ;
Si ton corps frémissant des passions secrètes, S'indigne des regards, timide et palpitant ; S'il cherche à sa beauté de profondes retraites Pour la mieux dérober au profane insultant ; Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges, Si ton beau front rougit de passer dans les songes D'un impur inconnu qui te voit et t'entend,
Pars courageusement, laisse toutes les villes ; Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin Du haut de nos pensers vois les cités serviles Comme les rocs fatals de l'esclavage humain. Les grands bois et les champs sont de vastes asiles, Libres comme la mer autour des sombres îles. Marche à travers les champs une fleur à la main.
La Nature t'attend dans un silence austère ; L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs, Et le soupir d'adieu du soleil à la terre Balance les beaux lys comme des encensoirs. La forêt a voilé ses colonnes profondes, La montagne se cache, et sur les pâles ondes Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.
Le crépuscule ami s'endort dans la vallée, Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon, Sous les timides joncs de la source isolée Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon, Se balance en fuyant dans les grappes sauvages, Jette son manteau gris sur le bord des rivages, Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison.
Il est sur ma montagne une épaisse bruyère Où les pas du chasseur ont peine à se plonger, Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière, Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger. Viens y cacher l'amour et ta divine faute ; Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute, J'y roulerai pour toi la Maison du Berger.
Elle va doucement avec ses quatre roues, Son toit n'est pas plus haut que ton front et tes yeux La couleur du corail et celle de tes joues Teignent le char nocturne et ses muets essieux. Le seuil est parfumé, l'alcôve est large et sombre, Et là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l'ombre, Pour nos cheveux unis, un lit silencieux.
Je verrai, si tu veux, les pays de la neige, Ceux où l'astre amoureux dévore et resplendit, Ceux que heurtent les vents, ceux que la mer assiège, Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit .Nous suivrons du hasard la course vagabonde. Que m'importe le jour ? que m'importe le monde ? Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit.
Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante Sur le fer des chemins qui traversent les monts, Qu'un Ange soit debout sur sa forge bruyante, Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts Et, de ses dents de feu, dévorant ses chaudières, Transperce les cités et saute les rivières, Plus vite que le cerf dans l'ardeur de ses bonds
Oui, si l'Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route, Et le glaive à la main ne plane et la défend, S'il n'a compté les coups du levier, s'il n'écoute Chaque tour de la roue en son cours triomphant, S'il n'a l'oeil sur les eaux et la main sur la braise Pour jeter en éclats la magique fournaise, Il suffira toujours du caillou d'un enfant.
Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle, L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor Quels orages en lui porte ce rude aveugle, Et le gai voyageur lui livre son trésor, Son vieux père et ses fils, il les jette en otage Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage, Qui les rejette en cendre aux pieds du Dieu de l'or.
Mais il faut triompher du temps et de l'espace, Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux. L'or pleut sous les chardons de la vapeur qui passe, Le moment et le but sont l'univers pour nous. Tous se sont dit : " Allons ! " Mais aucun n'est le maître Du dragon mugissant qu'un savant a fait naître ; Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous. Eh bien ! que tout circule et que les grandes cause Sur des ailes de feu lancent les actions, Pourvu qu'ouverts toujours aux généreuses choses, Les chemins du vendeur servent les passions. Béni soit le Commerce au hardi caducée, Si l'Amour que tourmente une sombre pensée Peut franchir en un jour deux grandes nations.
Mais, à moins qu'un ami menacé dans sa vie Ne jette, en appelant, le cri du désespoir, Ou qu'avec son clairon la France nous convie Aux fêtes du combat, aux luttes du savoir ; A moins qu'au lit de mort une mère éplorée Ne veuille encor poser sur sa race adorée Ces yeux tristes et doux qu'on ne doit plus revoir,
Evitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces, Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer, Que la flèche lancée à travers les espaces Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air. Ainsi jetée au loin, l'humaine créature Ne respire et ne voit, dans toute la nature, Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair.
On n'entendra jamais piaffer sur une route Le pied vif du cheval sur les pavés en feu ; Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute, Le rire du passant, les retards de l'essieu, Les détours imprévus des pentes variées, Un ami rencontré, les heures oubliées L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.
La distance et le temps sont vaincus. La science Trace autour de la terre un chemin triste et droit. Le Monde est rétréci par notre expérience Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit. Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne, Immobile au seul rang que le départ assigne, Plongé dans un calcul silencieux et froid. Jamais la Rêverie amoureuse et paisible N'y verra sans horreur son pied blanc attaché ; Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible Versent un long regard, comme un fleuve épanché ; Qu'elle interroge tout avec inquiétude, Et, des secrets divins se faisant une étude, Marche, s'arrête et marche avec le col penché.
La casa del pastor (I)
A Eva
I Si está tu corazón por la vida abrumado, debatiéndose, a rastras como un águila herida, como el mío llevando en sus alas inútiles todo un mundo fatal, humillante y helado; si al latir se desangra por su llaga inmortal, si el amor ya no ve como estrella más fiel que antes le iluminaba el borrado horizonte;
Si está tu alma lo mismo que la mía en cadenas, harta de su grillete y de su amargo pan, abandona tu remo en la oscura galera e inclinándote llora sobre el agua del mar cual si en él encontrases un camino ignorado, y estremécete al ver en tus hombros desnudos esa marca infamante que escribieron con hierro...
Echa a andar con buen ánimo, deja atrás las ciudades; y en la senda que el polvo no mancille tus pies; desde altivas ideas ve ciudades serviles como peñas fatales que esclavizan al hombre. La campiña y los bosques son enormes refugios libres como los mares que islas negras abrazan. Anda a campo través una flor en la mano.
La Natura te espera entre austeros silencios; ve la hierba elevando esa bruma del véspero, y el suspiro de adiós que da el sol a la tierra mece todos los lirios incensando los campos. Mira el bosque que esconde sus columnas profundas, la montaña se oculta y sobre aguas muy pálidas han colgado los sauces sus castísimos palios.
El crepúsculo amigo en el valle se duerme entre hierbas doradas o color de esmeralda, sobre tímidos juncos de la fuente apartada, bajo el bosque entre sueños que a lo lejos vacila, titubea al huir en racimos silvestres, echa su capa gris a la orilla del río y entreabre la cárcel de las flores nocturnas.
Hay en mi alta montaña un espeso brezal por el cual el que caza casi no puede andar, su cabeza altanera nos domina a los hombres y en la noche custodia al pastor y al extraño. Ven y oculta el amor y tu culpa divina; si se agita la hierba o no está muy crecida voy a darte esta casa del pastor para ti.
Poco a poco camina sobre sus cuatro ruedas, su tejado es igual que tu frente y tus ojos; el color del coral, tu color de mejillas tiñe el carro nocturno y sus ejes sin voz. Perfumados umbrales y una alcoba en penumbra, y allá habrá bajo sombras y entre flores un lecho silencioso que acoja tu cabeza y la mía.
Si tú quieres, veré el país de la nieve, los que el astro amoroso` deslumbrante consume, los que azotan los vientos, los que asedia la mar, los del hielo, malditos por los polos oscuros," seguiremos los pasos del azar errabundo.
¿Qué me importa la luz? ¿Qué me importa la gente? Yo diré que son bellos si tus ojos lo dicen.
Que Dios guíe a su meta al vapor fulminante H por caminos de hierro que atraviesan los montes. Que haya un ángel erguido en su forja ruidosa cuando va bajo tierra o estremece los puentes, y con dientes de fuego que devoran calderas igual cruza ciudades que los ríos se salta, más veloz que los ciervos en sus brincos más ágiles.
Que por él vele un ángel con los ojos azules, que su espada proteja su andadura metálica. Si él no cuenta los golpes de palanca escuchando cada vuelta de rueda en su curso triunfal, si no cuida del agua y vigila las brasas, para hacer estallar esta mágica máquina basta siempre el guijarro de algún niño imprudente.
En el toro de fuego que resopla y que brama sube un hombre. Aún es pronto, nadie puede saber qué tormentas arrastra ese ciego tremendo, y el alegre viajero su tesoro le entrega, cual rehenes: sus hijos y un anciano, su padre, en el vientre ardoroso de la púnica bestia' que dará sus cenizas a algún dios hecho de oro.
Mas triunfemos del tiempo y con él del espacio, o llegar o morir. El Comercio es ansioso. El carbón del vapor llueve chispas doradas. El instante y la meta son la cifra del mundo. Adelante, decimos. Pero nadie domina el mugiente dragón al que un sabio dio vida, y si un día es indócil él va a ser el más fuerte.
Pues que todo circule y que las causas nobles con las alas del fuego así puedan obrar. Con tal que siempre abiertos a lo que es generoso sirvan al sentimiento los caminos de hierro. Y bendito el comercio del audaz caduceo si el amor que tortura una mente sombría atraviesa en un día dos inmensas naciones.
Pero a menos de ser un amigo en peligro que nos llame con gritos del mayor desespero, o que con su clarín Francia quiera invitarnos a las fiestas guerreras o a las luchas del sabio; a no ser que muriendo una madre llorosa sobre su amada estirpe aún quisiese posar su mirada final, la más triste y más dulce;
Evitemos su ruta. No hay encanto en el viaje, puesto que es tan veloz por su senda de hierro como flecha lanzada a través del espacio desde el arco a su blanco desgarrando los aires. Así el hombre, arrojado a una gran lejanía no respira y no ve del teatro del mundo más que niebla que cruzan mil centellas radiantes.
No oiremos piafar al caballo impaciente que convierte las losas en manojos de fuego: adiós, lentos viajes, ecos vagos que se oyen, risas de alguien que pasa, los retardos casuales, imprevistos recodos de las cuestas, amigos que se encuentran, olvido de las horas, la espera de llegar ya muy tarde a lugares agrestes.
La distancia y el tiempo se someten. La ciencia traza en torno a la tierra sendas tristes y rectas. Todo el mundo se achica según nuestra experiencia, y hasta el mismo Ecuador es un aro pequeño. No hay azar. Todos vamos por los rieles, inmóviles allí donde al partir nos fijaron el sitio, bien guiados por cálculos silenciosos y fríos.
Siempre el sueño amoroso y sereno verá con horror su pie blanco vinculado a esos viajes; pues precisan sus ojos verter largas miradas como un río crecido sobre todas las cosas, preguntando por todo con la rara inquietud de quien quiere escrutar los secretos divinos, avanzando, parándose, sin dejar de mirar.Libellés : Alfred de Vigny |
posted by Alfil @ 10:58 AM |
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