Alfred de Vigny -La colère de Samson- |
mardi, mai 11, 2004 |
La colère de Samson Alfred de Vigny (1797-1863)
Le désert est muet, la tente est solitaire. Quel Pasteur courageux la dressa sur la terre Du sable et des lions? - La nuit n'a as calmé La fournaise du jour dont l'air est enflammé. Un vent léger s'élève à l'horizon et ride Les flots de la poussière ainsi qu'un lac limpide. Le lin blanc de la tente est bercé mollement ; L'oeuf d'autruche allumé veille paisiblement, Des voyageurs voilés intérieure étoile, Et jette longuement deux ombres sur la toile.
L'une est grande et superbe, et l'autre est à ses pieds : C'est Dalila, l'esclave, et ses bras sont liés Aux genoux réunis du maître jeune et grave Dont la force divine obéit à l'esclave. Comme un doux léopard elle est souple, et répand Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant. Ses grands yeux, entr'ouverts comme s'ouvre l'amande, Sont brûlants du plaisir que son regard demande, Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs. Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs, Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle, Ses flancs plus élancés que ceux de la gazelle, Pressés de bracelets, d'anneaux, de boucles d'or, Sont bruns ; et, comme il sied aux filles de Hatsor, Ses deux seins, tout chargés d'amulettes anciennes, Sont chastement pressés d'étoffes syriennes.
Les genoux de Samson fortement sont unis Comme les deux genoux du colosse Anubis. Elle s'endort sans force et riante et bercée Par la puissante main sous sa tête placée. Lui, murmure ce chant funèbre et douloureux Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux. Elle ne comprend pas la parole étrangère, Mais le chant verse un somme en sa tête légère.
" Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu Se livre sur la terre, en présence de Dieu, Entre la bonté d'Homme et la ruse de Femme. Car la Femme est un être impur de corps et d'âme.
L'Homme a toujours besoin de caresse et d'amour, Sa mère l'en abreuve alors qu'il vient au jour, Et ce bras le premier l'engourdit, le balance Et lui donne un désir d'amour et d'indolence. Troublé dans l'action, troublé dans le dessein, Il rêvera partout à la chaleur du sein, Aux chansons de la nuit, aux baisers de l'aurore, A la lèvre de feu que sa lèvre dévore, Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front, Et les regrets du lit, en marchant, le suivront. Il ira dans la ville, et là les vierges folles Le prendront dans leurs lacs aux premières paroles. Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu, Car plus le fleuve est grand et plus il est ému. Quand le combat que Dieu fit pour la créature Et contre son semblable et contre la Nature Force l'Homme à chercher un sein où reposer, Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser. Mais il n'a pas encor fini toute sa tâche. - Vient un autre combat plus secret, traître et lâche ; Sous son bras, sous son coeur se livre celui-là, Et, plus ou moins, la Femme est toujours Dalila.
Elle rit et triomphe ; en sa froideur savante, Au milieu de ses soeurs elle attend et se vante De ne rien éprouver des atteintes du feu. A sa plus belle amie elle en a fait l'aveu : " Elle se fait aimer sans aimer elle-même. " Un Maître lui fait peur. C'est le plaisir qu'elle aime, " L'Homme est rude et le prend sans savoir le donner. " Un sacrifice illustre et fait pour étonner " Rehausse mieux que l'or, aux yeux de ses pareilles, " La beauté qui produit tant d'étranges merveilles " Et d'un sang précieux sait arroser ses pas. "
- Donc ce que j'ai voulu, Seigneur, n'existe pas. - Celle à qui va l'amour et de qui vient la vie, Celle-là, par Orgueil, se fait notre ennemie. La Femme est à présent pire que dans ces temps Où voyant les Humains Dieu dit : Je me repens ! Bientôt, se retirant dans un hideux royaume, La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome, Et, se jetant, de loin, un regard irrité, Les deux sexes mourront chacun de son côté.
Eternel ! Dieu des forts ! vous savez que mon âme N'avait pour aliment que l'amour d'une femme, Puisant dans l'amour seul plus de sainte vigueur Que mes cheveux divins n'en donnaient à mon coeur. - Jugez-nous. - La voilà sur mes pieds endormie. - Trois fois elle a vendu mes secrets et ma vie, Et trois fois a versé des pleurs fallacieux Qui n'ont pu me cacher a rage de ses yeux ; Honteuse qu'elle était plus encor qu'étonnée De se voir découverte ensemble et pardonnée. Car la bonté de l'Homme est forte, et sa douceur Ecrase, en l'absolvant, l'être faible et menteur.
Mais enfin je suis las. - J'ai l'aine si pesante, Que mon corps gigantesque et ma tête puissante Qui soutiennent le poids des colonnes d'airain Ne la peuvent porter avec tout son chagrin.
Toujours voir serpenter la vipère dorée Qui se traîne en sa fange et s'y croit ignorée ; Toujours ce compagnon dont le coeur n'est pas sûr, La Femme, enfant malade et douze fois impur ! - Toujours mettre sa force à garder sa colère Dans son coeur offensé, comme en un sanctuaire D'où le feu s'échappant irait tout dévorer, Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer, C'est trop ! - Dieu s'il le veut peut balayer ma cendre, J'ai donné mon secret ; Dalila va le vendre. - Qu'ils seront beaux, les pieds de celui qui viendra Pour m'annoncer la mort ! - Ce qui sera, sera ! "
Il dit et s'endormit près d'elle jusqu'à l'heure Où les guerriers, tremblant d'être dans sa demeure, Payant au poids de l'or chacun de ses cheveux, Attachèrent ses mains et brûlèrent ses yeux, Le traînèrent sanglant et chargé d'une chaîne Que douze grands taureaux ne tiraient qu'avec peine, La placèrent debout, silencieusement, Devant Dagon leur Dieu qui gémit sourdement Et deux fois, en tournant, recula sur sa base Et fit pâlir deux fois ses prêtres en extase ; Allumèrent l'encens ; dressèrent un festin Dont le bruit s'entendait du mont le plus lointain, Et près de la génisse aux pieds du Dieu tuée Placèrent Dalila, pâle prostituée, Couronnée, adorée et reine du repas, Mais tremblante et disant : Il ne me verra pas!
Terre et Ciel ! avez-vous tressailli d'allégresse Lorsque vous avez vu la menteuse maîtresse Suivie d'un oeil hagard les yeux tachés de sang Qui cherchaient le soleil d'un regard impuissant ?
Et quand enfin Samson secouant les colonnes Qui faisaient le soutien des immenses Pylônes Ecrasant d'un seul coup sous les débris mortels Ses trois mille ennemis, leurs Dieux et leurs autels ? -
Terre et Ciel ! punissez par de telles justices La trahison ourdie en es amours factices Et la délation du secret de nos coeurs Arraché dans nos bras par des baisers menteurs !
La cólera de Sansón
Está mudo el desierto, solitaria la tienda. ¿Qué animoso pastor la plantó en un lugar de arenales y fieras? No ha calmado la noche esa hoguera del día que inflamaba los aires. Se levanta una brisa muy ligera que arruga grandes mares de polvo como un límpido lago. El blanquísimo lino de la tienda se agita. Un candil encendido está en vela alumbrando como estrella interior a los dos viajeros y proyecta sus sombras alargadas y trémulas.
Una es grande y soberbia, la otra yace a sus pies: es Dalila, la esclava, abrazando sumisa las rodillas de aquel amo joven y grave cuya fuerza divina a la esclava obedece. Como un manso leopardo es elástica, vierte destrenzado el cabello a los pies de su amante. Entreabiertos los ojos como se abre la almendra, son cual brasas que piden el placer al mirar, despidiendo fulgores de luz móvil e inquieta. Son morenos sus brazos que un sudor tibio cubre, y sus pies voluptuosos que se cruzan ocultos, sus caderas, más finas que las de una gacela, brazaletes la adornan, broches de oro y ajorcas, y según se acostumbra en Jasor y su reino, sus dos pechos cargados de amuletos antiguos castamente se esconden bajo telas de Siria.
Sanson junta con fuerza sus rodillas, igual que hace Anubis, coloso de rodillas de piedra. Ella al fin se adormece, muy risueña y mecida por la mano gigante que le sirve de almohada. Él un fúnebre canto doloroso murmura, su garganta se llena de palabras hebreas. La mujer no comprende esos sones extraños que son como un hechizo que la sume en el sueño. «Un eterno combate en la tierra se libra en presencia de Dios: la bondad, que es el Hombre y el ardid, la Mujer, puesto que es la Mujer una impura criatura por su cuerpo y por su alma.
Siempre amor y caricias necesitan los hombres, al nacer les prodiga las caricias su madre, y los brazos maternos aletargan, les dan un deseo perenne de indolencia y de amor. Mientras obra o medita algo en sí le perturba, siempre sueña que un pecho o un regazo le acogen, que le mecen canciones por la noche, que un beso le despierta en la aurora, que unos labios de fuego hacen que ardan sus labios, .que unos sueltos cabellos voluptuosos resbalan cual caricia en su frente, y el recuerdo de un lecho por doquier va a seguirle. Cuando va a la ciudad, unas vírgenes necias" sin más que unas palabras le harán suyo en sus redes. Cuanto más fuerte sea, su caída es más fácil, pues si el río es mayor más se agitan sus aguas. Cuando el Hombre combate la batalla que Dios le hace siempre librar contra el mundo y su prójimo, y después busca un pecho que le sirva de apoyo, cuando lloran sus ojos, lo que busca es un beso. Pero entonces aún su tarea no acaba, pues hay otro combate más secreto y más ruin; dentro de él y en sus brazos otra lucha le espera; la Mujer será siempre más o menos Dalila.
«Ríe y triunfa; en su artera frialdad, cuando está de mujeres rodeada, en la espera se jacta de que nunca aquel fuego hace presa en su cuerpo. Y a su amiga más fiel algún día confiesa que ha de hacerse amar mucho sin amar ella misma; tiene miedo a los amos. Lo que quiere es placer: son tan toscos los hombres que aunque saben sentirlo darlo ya no lo saben. Sacrificio asombroso que más que oro realza a los ojos de todas la belleza que da maravillas por fruto y que riega sus pasos con la sangre más noble. -¡Oh, Señor! ¡Luego es cierto que lo que tanto quise no ha existido jamás, y que el ser elegido a quien va nuestro amor, de quien viene la vida, por orgullo termina por ser nuestro enemigo! La Mujer es ahora aún peor que en los tiempos en que al ver a los hombres dijo Dios: "¡Me arrepiento!"
Retirándose a un reino espantoso tendrán las mujeres Gomorra y los hombres Sodoma. Y mirándose así, desde lejos, coléricos, morirán los dos sexos cada cual por su lado.
»¡Dios eterno, Dios fuerte! Tú que sabes que mi alma se nutría tan sólo de un amor de mujer, y que más fortaleza santa daba este amor que el cabello divino fuerza daba a mi pecho, juzga Tú, aquí la tienes ya dormida a mis pies. Por tres veces vendió mi secreto y mi vida, y ha vertido tres veces ese llanto falaz tras del cual adivino el furor de sus ojos; con vergüenza aún mayor que su propia sorpresa, descubierta por mí y a la vez perdonada; porque nada más fuerte que la bondad del Hombre, que anonada absolviendo al ser débil que miente.
»Ahora el tedio me vence. Siento un peso en el alma que mi cuerpo gigante y mi fuerte cabeza que sostienen el peso de columnas de bronce ya no pueden llevar por congoja insufrible. Ver serpear junto a mí esa víbora de oro que se arrastra en su fango y que cree estar oculta. ¡Compañera que tiene corazón traicionero, oh, Mujer, niña enferma doce veces impura! Tener siempre que estar encerrando la cólera en un pecho ofendido, como en un santuario, un lugar entre llamas que, si se abren las puertas, puede todo arrasar; prohibir a los ojos el que vean o lloren. ¿No es acaso excesivo? Sopla, Dios, si lo quieres, en mi pobre ceniza. Mi secreto ya es suyo, ella va a traicionarme. Son hermosos los pies del que venga hasta aquí a anunciarme la muerte. ¡Sea lo que ha de ser! »
Así dijo y quedó a su lado dormido, hasta que, temblorosos, los guerreros ocultos, que pagaron a peso de oro cada cabello, fueron a atar sus manos y quemaron sus ojos, le arrastraron cargado de una inmensa cadena de la cual doce toros con esfuerzo tiraban, le pusieron de pie, y en silencio quedó ante aquel dios, Dagón, que gimió sordamente, y dos veces, girando, se hizo atrás en su base y llenó de terror a sus adoradores, encendieron incienso y hubo luego un festín cuyos ecos se oyeron en lejanas montañas; la ternera ofrendaron a su dios, y muy cerca se sentaba Dalila, meretriz palidísima, coronada, adorada, del banquete la reina, mas también temblorosa, y entre tanto alboroto repitiéndose: «Ahora nunca más me verá.»
¡Tierra y cielo! ¿Es que habéis retemblado de gozo viendo a aquella mujer traicionera que sigue con mirada extraviada las dos manchas de sangre que buscaban el sol con afán impotente? Finalmente Sansón sacudió las columnas que aguantaban el peso de unos arcos inmensos, y de golpe aplastó bajo ruinas mortales a tres mil enemigos, con su dios y su altar.
¡Tierra y cielo! Tal es la justicia que venga las traiciones urdidas en amores ficticios, el secreto del alma que se vende arrancado entre brazos y besos que son sólo traición.Libellés : Alfred de Vigny |
posted by Alfil @ 11:10 AM |
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