Oscar Wladislas de Lubicz Milosz -Le vieux jour- |
lundi, avril 05, 2004 |
Le vieux jour Oscar Wladislas de Lubicz Milosz (Lituanie, 1877-1939)
Le vieux jour qui n’a pas de but veut que l’on vive Et que l’on pleure et se baigne avec sa pluie et son vent. Pourquoi ne veut-il pas dormir toujours à l’auberge des nuits Le jour qui menace les heures de son bâton de mendiant ?
La lumière est tiède aux dortoirs de l’hôpital de la vie ; La blancheur patiente des murs est faite de chères pensées. Et la pitié qui voit que le bonheur s’ennuie Fait neiger le ciel vide sur les pauvres oiseaux blessés.
Ne réveille pas la lampe, ce crépuscule est notre ami, Il ne vient jamais sans nous apporter un peu de bon vieux temps. Si tu le chassais de notre chambre, la pluie et le vent Se moqueraient de son triste manteau gris.
Ah ! certes, s’il existe une douceur ici-bas Ce ne peut être qu’aux vieux cimetières graves et bons Où la faiblesse ne dit plus oui, où l’orgueil ne dit plus non, Où l’espoir ne tourmente plus les hommes las.
Ah ! certes, là-bas, sous les croix, près de la mer indifférente Qui ne songe qu’au temps jadis, tous les chercheurs Trouveront enfin leurs âmes aux sourires anxieux d’attente Et les consolations sûres des nuits meilleures.
Verse cet alcool dans le feu, ferme bien la porte, Il y a dans mon cœur des abandonnés qui grelottent. On dirait vraiment que toute la musique est morte Et les heures sont si longues !
Non, je ne veux pas plus voir en toi l’amie : Ne sois qu’une chose extrêmement douce, crois-moi, Une fumée au toit d’une chaumière, dans le soir : Tu as le visage de la bonne journée de ta vie.
Pose ta douce tête d’automne sur mes genoux, raconte-moi Qu’il y a un grand navire, tout seul, tout seul, sur la mer ; N’oublie pas de me dire que ses lumières ont froid Et que ses vêtements de toile font rire l’hiver.
Parle-moi des amis qui sont morts il y a longtemps. Ils dorment dans des tombeaux que nous ne verrons jamais, Là-bas bien loin, dans un pays couleur de silence et de temps. S’ils revenaient comme nous saurions les aimer !
Dans le cabaret près du fleuve il y a de vieux orphelins Qui chantent parce que le silence de leurs âmes leur fait peur. Debout sur le seuil d’or de la maison des heures L’ombre fait le signe de la croix sur le pain et le vin.
El viejo día
El viejo día sin meta quiere que vivamos Y que lloremos y nos empapemos con su lluvia y su viento. ¿Por qué no quiere dormir siempre en el albergue de las noches El día que amenaza las horas con su palo de mendigo?
Tibia es la luz en los dormitorios del hospital de la vida; Queridos pensamientos forman el paciente blancor de los muros. Y la piedad que ve que la dicha se aburre Hace nevar el cielo vacío sobre los pobres pájaros heridos.
No despiertes la lámpara, el crepúsculo es nuestro amigo, Nunca viene sin traernos un poco de buen viejo tiempo. Si lo echases de nuestra habitación, la lluvia y el viento Se burlarían de su triste manto gris.
Por cierto, ah, si existe dulzura aquí abajo Sólo puede estar en los viejos cementerios graves y buenos Donde ya no dice sí la debilidad, donde el orgullo ya no dice no, Donde la esperanza no atormenta más a los hombres cansados.
Por cierto, ah, allá, bajo las cruces, cerca del mar indiferente Que sólo piensa en el tiempo pasado, los que buscan Hallarán por fin sus almas de sonrisas ansiosas por la espera Y los seguros consuelos de las noches mejores.
Echa al fuego este alcohol, cierra bien la puerta, Hay en mí pecho seres abandonados que tiritan de frío. Se diría realmente que toda la música está muerta Y las horas son tan largas.
No, no quiero verte más como mi amiga: Sólo debes ser algo, créeme, sumamente grato, Humo en el techo de una choza, en el ocaso: Tienes el rostro de la buena jornada de tu vida.
Posa tu dulce cabeza otoñal en mis rodillas, cuéntame Que hay un gran navío, muy solo, muy solo, mar adentro; No olvides decirme que sus luces tienen frío Y que sus ropajes de tela le dan risa al invierno.
Háblame de los amigos muertos desde hace largo tiempo. Duermen en tumbas que no veremos nunca jamás, Allá muy lejos, en un país color de silencio y de tiempo. Si volviesen, ¡cómo sabríamos amarlos!
En la taverna junto al río hay viejos huérfanos Que cantan porque el silencio de sus almas les da miedo. De pie en el umbral de oro de la casa de las horas La sombra hace el signo de la cruz sobre el vino y el pan.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel FrontánLibellés : Oscar Wladislas Lubicz de Milosz |
posted by Alfil @ 4:29 PM |
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