Yves Bonnefoy -La seule rose- |
mardi, avril 11, 2006 |
La seule rose Yves Bonnefoy (1923- )
I Il neige, c'est revenir dans une ville Où, et je le découvre en avançant Au hasard dans des rues qui toutes sont vides, J'aurais vécu heureux une autre enfance. Sous les flocons j'aperçois des façades Qui ont beauté plus que rien de ce monde. Seuls parmi nous Alberti puis San Gallo A San Biagio, dans la salle la plus intense Qu'ait bâtie le désir, ont approché De cette perfection, de cette absence.
Et je regarde donc, avidement, Ces masses que la neige me dérobe. Je recherche surtout, dans la blancheur Errante, ces frontons que je vois qui montent A un plus haut niveau de l'apparence. Ils déchirent la brume, c'est comme si D'une main délivrée de la pesanteur L'architecte d'ici avait fait vivre D'un seul grand trait floral La forme que voulait de siècle en siècle La douleur d'être né dans la matière.
II Et là-haut je ne sais si c'est la vie Encore, ou la joie seule, qui se détache Sur ce ciel qui n'est plus de notre monde. Ô bâtisseurs Non tant d'un lieu que d'un regain de l'espérance, Qu'y a-t-il au secret de ces parois Qui devant moi s'écartent ? Ce que je vois Le long des murs, ce sont des niches vides, Des pleins et des délies, d'où s'évapore Par la grâce des nombres Le poids de la naissance dans l'exil, Mais de la neige s'y est mise et s'y entasse, Je m'approche de l'une d'elles, la plus basse, Je fais tomber un peu de sa lumière, Et soudain c'est le pré de mes dix ans, Les abeilles bourdonnent, Ce que j'ai dans mes mains, ces fleurs, ces ombres, Est-ce presque du miel, est-ce de la neige ?
III J'avance alors, jusque sous l'arche d'une porte. Les flocons tourbillonnent, effaçant La limite entre le dehors et cette salle Où des lampes sont allumées : mais elles-mêmes Une sorte de neige, qui hésite Entre le haut, le bas, dans cette nuit. C'est comme si j'étais sur un second seuil.
Et au-delà ce même bruit d'abeilles Dans le bruit de la neige. Ce que disaient Les abeilles sans nombre de l'été, Semble le refléter l'infini des lampes.
Et je voudrais Courir, comme du temps de l'abeille, cherchant Du pied la balle souple, car peut-être Je dors, et rêve, et vais par les chemins d'enfance.
IV Mais ce que je regarde, c'est de la neige Durcie, qui s'est glissée sur le dallage Et s'accumule aux bases des colonnes A gauche, à droite, et loin devant dans la pénombre. Absurdement je n'ai d'yeux que pour l'arc Que cette boue dessine sur la pierre. J'attache ma pensée à ce qui n'a Pas de nom, pas de sens. Ô mes amis, Alberti, Brunelleschi, San Gallo, Palladio qui fais signe de l'autre rive, Je ne vous trahis pas, cependant, j'avance, La forme la plus pure reste celle Qu'a pénétrée la brume qui s'efface, La neige piétinée est la seule rose.
La única rosa
I Cae la nieve, es volver a una ciudad Donde, y lo descubro al avanzar Al azar por las calles vacías, Habría yo vivido, feliz, otra niñez. Bajo los copos percibo las fachadas Que más que nada en el mundo bellas son. Alberti sólo entre nosotros, y San Gallo En San Biagio, en el salón más intenso Que construyó el deseo, se acercaron A esta perfección, a esta ausencia.
Por eso miro yo, ávidamente, Esas masas que me oculta la nieve. En la blancura errante, sobre todo, Esos frontones busco que se alzan A un más alto nivel de la apariencia, Desgarrando la bruma como si Con ingrávida mano, el arquitecto De aquí, vivir hubiese hecho De un solo, gran trazo floral, La forma que quería, siglo a siglo, El dolor de nacer en la materia.
II Y allá arriba, yo no sé si es la vida Aún, o sólo la alegría que resalta En ese cielo que no es ya de nuestro mundo. Oh constructores No tanto de un lugar como de un renacer de la esperanza, ¿Qué hay en el secreto de esos muros Que frente a mí se apartan? Sobre ellos Nichos vacíos es lo único que veo, Caligrafías de las que, por la gracia De los números, se esfuma El peso del nacer en el exilio, Pero la nieve en ellos se acumula, A uno de ellos me acerco, el más bajo, Hago caer un poco de su luz, Y el prado, de pronto, está aquí de mis diez años, Donde zumban abejas, Lo que tengo en mis manos, esas flores y sombras, ¿Es casi miel, acaso? ¿Es un poco de nieve?
III Avanzo entonces hasta el arco de una puerta. Los copos danzan en el aire, borroneando el límite entre el exterior y este salón de lámparas encendidas: pero ellas mismas una especie de nieve que vacila entre lo alto, lo bajo, en esta noche. Es como si estuviese ante un segundo umbral.
Y más allá un idéntico ruido de abejas en el ruido de la noche. Lo que decían Las abejas innúmeras del verano, Parece reflejarlo el infinito de las lámparas.
Y yo querría correr, como en los tiempos de la abeja, buscando con el pie el balón blando, ya que acaso duermo, y sueño, y voy por los caminos de la infancia.
IV Pero lo que miro es un poco de nieve endurecida, que se ha deslizado sobre las baldosas y se acumula al pie de las columnas a la izquierda, a la derecha, y que se adentra en la penumbra. Absurdamente sólo tengo ojos para el arco que este lodo dibuja en la piedra. Uno mi pensamiento a lo que no tiene nombre, ni sentido. Oh amigos míos, Alberti, San Gallo, Brunelleschi, Palladio que haces señas desde la otra orilla, No os traiciono, sin embargo, avanzo, La forma más pura es aún aquella Que penetró la bruma que se esfuma, La nieve pisoteada es la única rosa.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel FrontánLibellés : Yves Bonnefoy |
posted by Alfil @ 6:52 PM  |
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