dimanche, avril 23, 2006

Charles Baudelaire -Rêve parisien-

Rêve parisien
Charles Baudelaire (1821-1867)

à Constantin Guys

I
De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles!
Par un caprice singulier
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
A des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers:

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques, c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient!

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel!

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté!
Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles!)
Un silence d'éternité.

II
En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.


Sueño Parisiense

a Constantin Guys


I
De aquel terrible paisaje,
Tal que jamás un mortal vio,
Esta mañana todavía la imagen,
Vaga y lejana, me arrebataba.

¡El sueño estaba lleno de milagros!
Por un capricho singular
Yo había desterrado del espectáculo
El vegetal singular,

Y, pintor orgulloso de mi genio,
saboreaba en mi cuadro
La embriagante monotonía
Del metal, del mármol y del agua.

Babel de escaleras y de arcadas,
Era un palacio infinito,
Lleno de fuentes y cascadas
Volcando el oro mate o bruñido;

Y cataratas pesadas,
Como cortinas de cristal,
Pendían, deslumbrantes,
De las murallas de metal.

No de árboles, sino de columnatas,
Los dormidos estanques nos rodeaban,
Donde gigantescas náyades,
Como mujeres, se contemplaban.

Napas de agua derramábanse, azules
Entre malecones rosados y verdes,
A lo largo de millones de leguas,
Hacia el confín del universo;

¡Eran piedras inauditas
Y oleadas mágicas; eran
Inmensos espejos deslumbrantes
Por todo cuanto ellos reflejaban!

Indolentes y taciturnos,
Los Ganges, en el firmamento,
Volcaban el tesoro de sus urnas
En abismos de diamante.

Arquitecto de mis hechizos,
Yo hacía, a mi capricho,
Bajo un túnel de pedrerías
Pasar un océano domado;

Y todo, aun el color negro,
Parecía límpido, claro, irisado;
El líquido engastaba su gloria
En el destello cristalizado.

¡Ningún astro, desde luego, nada de vestigios
De sol, ni siquiera en lo bajo del cielo,
Para iluminar estos prodigios,
Que brillaban con su propio fuego!

Y sobre estas movientes maravillas
Cerníase (¡terrible novedad!
¡Todo para la vista, nada para los oídos!)
Un silencio de eternidad.


II
Al reabrir mis ojos llameantes
He visto el horror de mi rincón,
Y sentí, penetrando en mi alma,
La punta de las preocupaciones malditas;

El péndulo de los acentos fúnebres
Sonaba brutalmente el mediodía,
Y el cielo volcaba tinieblas
Sobre el triste mundo adormilado.

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