Cantique à Elsa
Louis Aragon (1897-1982)
Ouverture
Je te touche et je vois ton corps et tu respires
Ce ne sont plus les jours du vivre séparés
C’est toi tu vas-tu viens et je suis ton empire
Pour le meilleur et le pire
Et jamais tu ne fus si lointaine à mon gré
Ensemble nous trouvons au pays des merveilles
Le plaisir sérieux couleur de l’absolu
Mais lorsque je reviens à nous que je m’éveille
Si je soupire à ton oreille
Comme des mots d’adieu tu ne les entends plus
Elle dort Longuement je l’écoute se taire
C’est elle dans mes bras présente et cependant
Plus absente d’y être et moi plus solitaire
D’être plus près de son mystère
Comme un joueur qui lit aux dés le point perdant
Le jour qui semblera l’arracher à l’absence
Me la rend plus touchante et plus belle que lui
De l’ombre elle a gardé les parfums et l’essence
Elle est comme un songe des sens
Le jour qui la ramène est encore une nuit
Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes
La vie aura passé comme un air entêtant
Jamais rassasié de ces yeux qui m’affament
Mon ciel mon désespoir ma femme
Treize ans j’aurai guetté ton silence chantant
Comme le coquillage enregistre la mer
Grisant mon cœur treize ans treize hivers treize étés
J’aurai tremblé treize ans sur le seuil des chimères
Treize ans d’une peur douce amère
Et treize ans conjuré des périls inventés
Ô mon enfant le temps n’est pas à notre taille
Que mille et une nuits sont peu pour des amants
Treize ans c’est comme un jour et c’est un feu de paille
Qui brûle à nos pieds maille à maille
Le magique tapis de notre isolement
Cántico a Elsa
Obertura
Te toco y veo tu cuerpo y tú respiras,
ya no es el tiempo de vivir separados.
Eres tú; vas y vienes y yo sigo tu imperio
para lo mejor y para lo peor.
Y jamás fuiste tan lejana a mi gusto.
Juntos encontramos en el país de las maravillas
el serio placer color de absoluto.
Pero cuando vuelvo a vosotros al despertarme
si suspiro a tu oído
como palabras de adiós tú no las oyes.
Ella duerme. Profundamente la escucho callar.
Ésta es ella presente en mis brazos, y, sin embargo,
más ausente de estar en ellos y más solitaria
de estar cerca de su misterio,
como un jugador que lee en los dados
el punto que le hace perder.
El día que parecerá arrancarla a la ausencia
me la descubre más conmovedora y más bella que él.
De la sombra guarda ella el perfume y la esencia.
Es como un sueño de los sentidos.
El día que la devuelve es todavía una noche.
Zarzales cotidianos en que nos desgarramos.
La vida habrá pasado como un viento enfadoso.
Jamás saciado de esos ojos que me dan hambre.
Mi cielo, mi desesperación de mujer,
trece años habré espiado tu silencio cantando.
Como las madréporas inscriben el mar,
embriagando mi corazón trece años, trece inviernos,
trece veranos;
habré temblado trece años sobre un suelo de quimeras,
trece años de un miedo dulce amargo,
y conjurado peligros aumentados trece años.
¡Oh niña mía!, el tiempo no está a nuestra medida
que mil y una noche son poco para los amantes.
Trece años son como un día y es fuego de pajas.
El que quema a nuestros pies malla por malla
el mágico tapiz de nuestra soledad.
Versión de María Dolores Sartorio
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