dimanche, avril 23, 2006

Charles Baudelaire -Le masque-

Le masque
Charles Baudelaire (1821-1867)


Statue allégorique dans le goût de la Renaissance
A Ernest Christophe, statuaire.


Contemplons ce trésor de grâces florentines;
Dans l'ondulation de ce corps musculeux
L'Elégance et la Force abondent, soeurs divines.
Cette femme, morceau vraiment miraculeux,
Divinement robuste, adorablement mince,
Est faite pour trôner sur des lits somptueux
Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.

- Aussi, vois ce souris fin et voluptueux
Où la Fatuité promène son extase;
Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;
Ce visage mignard, tout encadré de gaze,
Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:
"La Volupté m'appelle et l'Amour me couronne!"
A cet être doué de tant de majesté
Vois quel charme excitant la gentillesse donne!
Approchons, et tournons autour de sa beauté.

O blasphème de l'art! ô surprise fatale!
La femme au corps divin, promettant le bonheur,
Par le haut se termine en monstre bicéphale!

- Mais non! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement,
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l'abri de la face qui ment
Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux
Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!

- Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite,
Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mystérieux ronge son flanc d'athlète?

- Elle pleure insensé, parce qu'elle a vécu!
Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle déplore
Surtout, ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux,
C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore!
Demain. après-demain et toujours! - comme nous!


La máscara

Estatua alegórica según el gusto del Renacimiento
A Ernest Christophe, Estatuario.


Contemplemos este tesoro de gracias florentinas;
En la ondulación de este cuerpo musculoso
La Elegancia y la Fuerza abundan, hermanas Divinas.
Esta mujer, trozo verdaderamente milagroso,
Divinamente robusta, adorablemente delgada,
Está hecha para reinar sobre lechos suntuosos,
Y encantar los ocios de un pontífice o de un príncipe.

-Por eso, contemplo esa sonrisa, fina y voluptuosa
En que la fatuidad pasea su éxtasis;
Esa prolongada mirada taimada, lánguida y burlona;
Ese rostro delicado, realzado por la gasa,
Del que cada rasgo nos dice con aire vencedor:
"¡La Voluptuosidad me llama y el Amor me corona!"
A este ser dotado de tanta majestad
-¡Ved que encanto excitante la gentileza le otorga!
Aproximémonos, y giremos en torno a su belleza.

¡Oh, blasfemia del arte! ¡Oh, sorpresa fatal!
¡La mujer de cuerpo divino, prometiendo la ventura,
Por lo alto termina en un monstruo bicéfalo!

-¡Pero, no! Sólo es una máscara, un decorado engañoso,
Este rostro iluminado por una exquisita mueca,
Y, mira, aquí, crispada atrozmente,
La verdadera cabeza, y el sincero rostro
Vuelto al abrigo de la cara que miente.
¡Pobre gran belleza! ¡El magnífico río
De tus lágrimas vuélcase en mi corazón receloso;
Tu mentira me embriaga, y mi alma se abreva
En los raudales que el Dolor hace brotar de tus ojos!

-Pero, ¿por qué llora ella? Ella, beldad perfecta
Que pondría a sus plantas al género humano vencido,
¿Qué mal misterioso corroe su flanco de atleta?

-¡Ella llora, insensata, porque ella ha vivido!
¡Y porque vive! Pero, lo que ella deplora
Sobre todo, lo que la hace temblar hasta las rodillas,
Es que mañana, ¡ah! ¡tendrá que vivir todavía!
¡Mañana, pasado mañana y siempre! - ¡Como nosotros!

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